[Napoléon 2] Le soleil d'Austerlitz
m’est bien égal ; je sais bien que je n’ai pas de vrais amis. Tant que je suis ce que je suis, je m’en ferai tant que je voudrai en apparence. Il faut laisser pleurnicher les femmes, c’est leur affaire, mais moi, pas de sensibilité ! Il faut être ferme, avoir le coeur ferme ; autrement, il ne faut se mêler ni de guerre ni de gouvernement. »
Il s’assoupit.
Le 11 janvier 1802, à vingt heures, il arrive à Lyon.
Il se penche. La ville est illuminée. La voiture avance au pas dans les rues qui conduisent à l’hôtel de ville. Il regarde le lion endormi qu’on a placé au sommet d’un arc de triomphe, sous lequel la voiture passe au pas.
Il commence aussitôt à recevoir les délégués italiens, qui, au nombre de quatre cent cinquante, constituent la Consulte de la République cisalpine.
Il a, au fil des jours, le sentiment qu’il change le sort de ses hommes, celui de l’Italie et de l’Europe. Il s’adresse à eux en italien, dans l’église désaffectée où la Consulte s’est réunie. On l’acclame. On salue en lui le président de la République italienne. L’Italien Melzi est nommé vice-président.
On l’appelle « l’immortel Bonaparte, le héros du siècle ». Il est le libérateur d’un peuple. Il se sent porté par une grande force.
Le 25 janvier 1802, sur la place Bellecour, il passe en revue les troupes rentrées d’Égypte.
Le temps est superbe, le soleil étincelant dans un ciel lumineux. Ce jour d’hiver sec et froid résonne des cris d’enthousiasme de la foule et des soldats qui lèvent leur bonnet ou leur casque au bout de leur fusil. Il y a parmi eux des Mamelouks, des coptes, des Syriens, et surtout ces vieux grenadiers dont il reconnaît les visages et dont il se rappelle parfois les noms, combattants d’Italie et d’Égypte, survivants de Saint-Jean-d’Acre et d’Aboukir.
Il leur serre la main. Il pince leur oreille.
« Qui est plus peuple qu’une armée ? »
Il s’attarde longuement. Il a du mal à quitter ces hommes en armes qui l’acclament.
Que serait-il sans eux ?
Si peu.
14.
Dès son retour à Paris, le 31 janvier 1802, à dix-huit heures trente, Napoléon a commencé à lire les dépêches de Joseph, qui, à Amiens, conduit la négociation avec lord Cornwallis.
Il est irrité, ne réussit pas à rester assis à sa table de travail.
Ces Anglais veulent-ils vraiment la paix ou bien jouent-ils habilement pour étirer les pourparlers, se renforcer durant cette trêve et la rompre à leur convenance ?
Il cesse de lire.
Le voyage depuis Lyon a été fatigant et ennuyeux. La route entre Lyon et Roanne était battue par la pluie mêlée de neige. Le froid était vif, dans les relais, à Roanne, à Nevers, à Nemours.
Il appelle Roustam. Il veut un bain plus chaud encore qu’à l’habitude. Il y reste longuement, puis revient à sa table.
Il écarte les lettres de Joseph, il les lira plus tard. Il feuillette un petit opuscule manuscrit que les espions de police ont saisi et qui circule à Paris. On en parle, indique le rapport qui l’accompagne. On se passe ce texte dont on ignore l’auteur.
Napoléon le parcourt et il sent comme une brûlure sur sa peau. Quel est cet inconnu qui ose ainsi l’insulter, le calomnier, intituler ces quelques vers La Napoléone ?
Il ferme les yeux, se calme. C’est de cela qu’il faut payer la gloire et le succès. Il lit :
Il vient, cet étranger perfide,
S’asseoir insolemment au-dessus de nos lois.
Lâche héritier du parricide,
Il dispute aux bourreaux la dépouille des rois
Sycophante vomi des murs d’Alexandrie
Pour l’opprobre de la patrie
Et pour le deuil de l’univers ;
Nos vaisseaux et nos ports accueillent le transfuge,
De la France abusée il reçoit un refuge
Et la France en reçoit des fers.
Que fait donc Fouché ? !
Cette pièce de vers est d’un royaliste, sans doute membre de l’une des sociétés secrètes, peut-être celle des Philadelphes, qui continuent de conspirer, qui rêvent d’assassinat.
Il se lève. Le bain et la colère l’ont réchauffé. Il ne ressent plus la fatigue de ce voyage de quatre jours. Il faut qu’il prenne en main, de manière plus précise encore qu’il ne l’a fait jusqu’alors, les affaires de police.
« Citoyen Fouché, commence-t-il à écrire.
« Le rétablissement de la paix avec les puissances me mettant à même de m’occuper plus particulièrement de la police, je désire être instruit de tout dans
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