[Napoléon 3] L'empereur des rois
Montebello.
« Ma cousine, le Maréchal est mort ce matin des blessures qu’il a reçues sur le champ d’honneur. Ma peine égale la vôtre. Je perds le général le plus distingué de mes armées, mon compagnon d’armes depuis seize ans, celui que je considérais comme mon meilleur ami.
« Sa famille et ses enfants auront toujours des droits particuliers à ma protection. C’est pour vous en donner l’assurance que j’ai voulu vous écrire cette lettre, car je sens que rien ne peut alléger la juste douleur que vous éprouverez. »
Il reste un long moment la tête sur la poitrine. Si las. Il faut qu’il demande à Joséphine d’essayer de consoler la maréchale Lannes.
Il écrit :
« La perte du duc de Montebello qui est mort ce matin m’a fort affligé. Ainsi tout finit ! »
1 - Dieu me la donna, malheur à qui la touche.
26.
Napoléon est assis dans son cabinet de travail. Il regarde les jardins qui entourent le château de Schönbrunn. Les fenêtres sont ouvertes. Ces matinées du début du mois de juin 1809 sont douces. Ce pourrait être la paix. Il imagine quelques instants sa vie ici, avec Marie Walewska. Les lettres qu’elle lui écrit de Pologne sont là, sur la table. Il se souvient de ces longues journées dans le château de Finckenstein, après la bataille d’Eylau, avant la victoire de Friedland. Il avait cru alors qu’il avait établi un système d’alliance avec le tsar qui empêcherait la guerre. Rien ne s’est produit comme il l’avait espéré et tout est survenu comme il l’avait craint.
Et l’armée de l’archiduc Charles est toujours sur la rive gauche du Danube, sur le plateau de Wagram.
Elle élève des palissades, elle crée des redoutes, elle installe des postes d’artillerie fixe pour empêcher toute traversée du fleuve.
Il doit la détruire. Il doit franchir le Danube.
Je ne peux compter que sur moi. Le tsar fait manoeuvrer ses troupes, mais c’est bien plus pour empêcher les Polonais de Poniatowski de vaincre et de reconstituer un royaume de Pologne que pour menacer les Autrichiens. Bel allié que cet Alexandre I er !
Napoléon se lève. Il appelle le général Savary. Il veut savoir quels régiments participeront ce matin à la parade, quels maréchaux et généraux seront présents. Il doit distribuer des croix d’honneur, élever des grenadiers à la dignité de chevalier d’Empire.
Il veut redonner de la vigueur à ces troupes malmenées à Essling. Il veut effacer de leur mémoire le souvenir des camarades morts et blessés, près de vingt mille ! Il veut qu’ils oublient qu’ils ont dû se replier. Ils doivent être prêts à se battre à nouveau dès que les ponts seront reconstruits, dès que les renforts seront arrivés. Il attend de France 20 000 fantassins, 10 000 cavaliers, 6 000 grenadiers de la Garde, et de l’artillerie. Il disposera alors de 187 000 hommes et de 488 canons à opposer aux 125 000 hommes de l’archiduc Charles.
Il va jusqu’à la fenêtre.
Mais il y a ce fleuve à traverser, ces soldats de l’armée de l’archiduc Jean, le frère de Charles, qui ont été battus en Italie mais qui se sont regroupés en Hongrie et représentent une force de plus de trente mille hommes.
Napoléon se tourne vers Savary. Il veut tous les matins se rendre dans l’île Lobau. C’est une fois de plus le pivot de son dispositif. De là il pourra observer les Autrichiens, mesurer l’état d’avancement des ponts et choisir le moment où les troupes passeront de la rive droite dans l’île et de celle-ci sur la rive gauche.
Il faudra réussir. Il n’est pas un souverain d’Europe qui n’attende sa défaite pour se précipiter contre lui.
Le roi de Prusse ou le bel allié Alexandre guettent mes défaillances .
— Ils se sont tous donné rendez-vous sur ma tombe, dit-il à Savary, mais ils n’osent s’y réunir.
Il renvoie Savary. Il reste seul. Il entend les pas des régiments qui se mettent en place dans la cour d’honneur. La parade commencera à 10 heures comme chaque matin.
Il a besoin de cette organisation précise du temps.
Après le tumulte de la bataille, l’inattendu et la mort qui viennent à chaque instant bouleverser les données de la partie, il veut ici, à Schönbrunn, que l’ordre règne, que l’étiquette la plus rigoureuse soit respectée. Il ne peut travailler avec efficacité que dans la routine des habitudes. Alors l’esprit est libre. Alors il peut imaginer cette
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