[Napoléon 3] L'empereur des rois
trébuche, Napoléon qui le précède se retourne. Il entend Joséphine chuchoter à l’oreille de Beausset : « Vous me serrez trop fort. »
A-t-elle jamais perdu connaissance ?
Il se retire, et dès qu’il a fait quelques pas il se sent oppressé. Il suffoque. Il entre dans son appartement. Il demande qu’on envoie chez l’Impératrice sa fille Hortense et le docteur Corvisart.
Il s’assied. Joséphine a sans doute exagéré sa peine, simulé l’évanouissement parce qu’elle est menteuse. Mais elle doit souffrir et il en est accablé. C’est un arrachement pour lui aussi. Toute une part de sa vie qui se ferme. Et la douleur l’étreint.
Il entend des pas. Voici Hortense.
Il va au-devant d’elle.
— Vous avez vu votre mère ? Elle vous a parlé ?
Ils s’expriment durement. Il essaie de contenir le désarroi qu’il sent monter en lui. Il serait si simple de ne jamais trancher, de ne jamais choisir, de ne pas se soumettre à la loi de son destin.
— Mon parti est pris, reprend-il. Il est irrévocable. La France entière veut le divorce. Elle le demande hautement. Je ne puis résister à ses voeux.
Il tourne le dos à Hortense. Il ne peut plus la regarder.
— Rien ne me fera revenir, ni larmes ni prières. Rien, martèle-t-il.
Il écoute, immobile, la voix claire et calme d’Hortense. Il se souvient de la très jeune fille, d’à peine treize ans, qu’il a connue, de la tendresse qu’il avait pour elle. De l’affection qu’il continue d’éprouver pour cette femme, épouse de Louis et soeur de celui qu’il considère comme un fils – Eugène, qui, lui, n’avait que quinze ans au moment de leur rencontre. C’est sa deuxième famille, depuis tant d’années.
— Vous êtes le maître de faire ce qu’il vous plaira, Sire, dit Hortense. Vous ne serez contrarié par personne. Puisque votre bonheur l’exige, c’est assez. Nous saurons nous y sacrifier. Ne soyez pas surpris des pleurs de ma mère. Vous devriez l’être plutôt si, après une réunion de quinze années, elle n’en versait pas.
Il se souvient. Il sent les larmes dans ses yeux.
— Mais elle se soumettra, ajoute Hortense, j’en ai la conviction, et nous nous en irons tous, emportant le souvenir de vos bontés.
Il ne peut pas se séparer d’eux. Il veut ajouter quelque chose à sa vie : une épouse royale, un héritier de son sang, mais il ne veut perdre ni Hortense, ni Eugène, ni leurs enfants, ni leur fidélité politique, et il ne veut pas même perdre Joséphine.
Il sent des larmes envahir ses yeux, des sanglots l’étouffer. Que ne comprennent-ils la dureté des choix qu’il s’impose, l’effort qu’il doit faire pour trancher ? Pourquoi faut-il qu’ils lui rendent l’accomplissement de son destin si difficile ? Pourquoi ne l’aide-t-on pas ?
— Quoi, vous me quitterez tous, vous m’abandonnerez ? s’exclame-t-il. Vous ne m’aimez donc plus ?
Ce n’est pas possible. Il ne l’accepte pas. Ce n’est pas de son bonheur qu’il s’agit, mais de son destin, de celui de la France.
— Plaignez-moi, plaignez-moi plutôt d’être contraint de renoncer à mes plus chères affections, répète-t-il.
Il continue de sangloter. Il devine l’émotion d’Hortense. Ni elle ni Eugène ne s’éloigneront de lui.
On n’abandonnera pas l’Empereur des rois. Il impose ses choix.
30.
Elle est là. Et il veut, et il faut que Joséphine soit là, marchant près de lui dans la nef de Notre-Dame, ce dimanche 3 décembre 1809. Elle est encore l’Impératrice.
Les cloches résonnent sous la voûte. Les canons tonnent. Le Te Deum célèbre la victoire de Wagram et la paix de Vienne.
Mes rois, mes maréchaux, mes généraux, mes ministres sont rassemblés autour de moi. J’entends les acclamations de la foule. Dans un instant je verrai les troupes massées devant la cathédrale et je monterai dans la voiture, celle du sacre .
Joséphine est là. Comme autrefois, le jour du sacre. Elle cherche à sourire. Elle affronte tous ces regards. Ils savent tous. Fouché a fait répandre la nouvelle dans les salons, dans les tavernes, pour préparer l’opinion : l’Empereur divorce. L’Empereur veut épouser un ventre. L’Empereur veut un fils.
Je connais la cruauté, la bassesse, la lâcheté de ces regards. Joséphine cache sous son voile ses paupières gonflées et ses yeux rougis. Et ils se repaissent tous de sa souffrance .
Sa tristesse et son désespoir me sont insupportables.
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