[Napoléon 3] L'empereur des rois
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Il convoque Cambacérès.
— Je ne veux, dit-il, d’autres ducs que ceux que j’ai créés ou que je pourrai créer encore, et dont la dotation aura été accordée par moi. Si je fais quelques exceptions à l’égard de l’ancienne noblesse, ces exceptions sont très restreintes et ne s’appliqueront qu’à des noms historiques qu’il est utile de conserver.
Cambacérès m’écoute, mais a-t-il compris ?
— Donner des appuis à la dynastie présente, faire oublier l’ancienne noblesse, voilà le but que je veux atteindre.
Il descend dans le jardin de Trianon. Par ces temps des grosses chaleurs d’été, cette résidence est la plus agréable.
Il se mêle aux jeux de société qu’aime tant Marie-Louise. Elle s’essouffle rapidement, se laisse tomber dans l’un des fauteuils placés à l’ombre des arbres. C’est une jeune femme au corps vigoureux et pourtant elle manque d’énergie. Lors de la réception à l’Hôtel de Ville, fastueuse, avec feux d’artifice, bals, elle a vite paru lasse. Chez Pauline Borghèse, à Neuilly, elle a semblé s’ennuyer alors que la fête était éclatante, que Pauline, dans son parc, avait reconstitué en trompe-l’oeil la perspective de Schönbrunn pour lui plaire. Elle a eu la même attitude à l’Opéra ou lors des parades de la Garde.
Peut-être est-elle marquée par cette fête tragique du 1 er juillet, à l’ambassade d’Autriche, chez le prince Schwarzenberg ? Le feu a pris et la grande salle de bal construite en charpente et en toiles vernies, décorée de tulle, de taffetas, de guirlandes de fleurs en papier, s’est embrasée d’un seul coup, les milliers de bougies alimentant l’incendie, et les invités se sont piétinés pour fuir par la seule issue que le feu ne barrait pas.
Napoléon n’a eu que le temps de sortir avec Marie-Louise, de la reconduire jusqu’aux Champs-Élysées, puis il est revenu à l’ambassade. C’était comme un champ de bataille, la même odeur de chair brûlée qu’à Wagram, les corps entassés les uns sur les autres, et parmi eux la belle-soeur du prince Schwarzenberg.
Napoléon a vu les corps nus, déjà détroussés par les pillards qui ont arraché les bagues, les colliers, les boucles, mutilant quand il le fallait.
Horrible fête.
Chaque fois qu’il y pense, il se souvient de ces malédictions, de ces présages tant de fois évoqués dans sa petite enfance.
Il écarte cette pensée. Il rejoint, au milieu des rondes où l’on se moque du prince Borghèse, où l’on court dans les bosquets de Trianon, Marie-Louise, rouge, en sueur.
On est au début août. Ce soir, comme presque chaque soir, il y aura spectacle. Ce jeudi 9, on donnera Les Femmes savantes . Il se penche vers Marie-Louise. Elle préfère les jeux de cirque. Il tend le bras, montre l’amphithéâtre qu’on est en train de construire dans les jardins du Petit Trianon. Ce sont les frères Franconi, des maîtres italiens, qui donneront demain une représentation.
Elle est radieuse. Elle l’embrasse. Elle chuchote. Elle répète plusieurs fois :
— Peut-être.
Il lui prend la main, la serre. Il en est sûr, et ce sera un fils.
Il a plusieurs vies.
Il se lève. Il marche dans les allées. Il a plusieurs vies. Celle-ci commence avec cette jeune femme pleine de lui.
Il retourne vers elle. Il ne faut plus monter à cheval. Il ne faut plus danser, il ne faut plus de grandes fêtes éreintantes, plus de voyages épuisants, mais une vie de cour, calme, paisible, ici à Trianon, à Rambouillet, à Fontainebleau ou à Saint-Cloud. Il la caresse comme une enfant. Des spectacles, des concerts, les jeux qu’elle aime, voilà ce qu’il veut pour elle.
Elle lui saisit les mains. Elle désire qu’il reste près d’elle, toujours.
Il la rassure. Il ne la quittera pas.
Il a besoin pourtant de sentir le vent des courses à cheval, l’odeur des herbes mouillées.
Il chasse le cerf dans les bois de Meudon, dans les forêts de Rambouillet ou de Fontainebleau. Plusieurs fois par semaine, il chasse à courre, à la tête d’une cavalcade qui charge comme un escadron de dragons dans les sous-bois. Il s’élance à midi, il rentre vers 6 heures, ayant changé six fois de cheval.
Il prend un bain puis descend retrouver Marie-Louise, grosse. Il la touche. C’est une autre vie pour lui que cette femme qui porte un enfant, qui s’arrondit. Il est allègre.
« Je ne sais si l’Impératrice vous a fait connaître,
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