[Napoléon 3] L'empereur des rois
de cinq mois. L’Impératrice se porte très bien et n’éprouve aucune des incommodités attachées à son état. Connaissant tout l’intérêt que Votre Majesté nous porte, nous savons que cet événement lui sera agréable. Il est impossible d’être plus parfaite que la femme que je lui dois. Aussi je prie Votre Majesté d’être persuadée qu’elle et moi nous lui sommes également attachés. »
Il s’immobilise. Il écoute la plume du secrétaire courir sur le papier.
Méneval lui présente le texte à signer.
Il trace d’un geste vif son nom.
Quel roman que ma vie !
1 - Charles-Louis-Napoléon, le futur Napoléon III.
36.
Napoléon arpente en compagnie du grand maréchal du palais les pièces vides aux plafonds hauts. Duroc ouvre les portes dorées à deux battants. Napoléon le rejoint d’un pas vif, lui tire l’oreille.
Le grand maréchal habitait là, dans cette aile des Tuileries dont les croisées donnent sur le Carrousel. Mais c’est ici que vivra mon fils, roi de Rome .
Il convoque les architectes. Tout doit être repeint. On placera une bande matelassée haute de trois pieds le long des murs, afin que l’enfant ne se blesse pas en tombant.
Napoléon s’approche d’une croisée. Le soleil de novembre, froid, illumine les statues dorées de l’arc de triomphe du Carrousel.
C’est moi qui ai fait construire cela. À la gloire de mon armée .
Il imagine le regard de l’enfant qui découvrira le symbole de la grandeur et de la victoire. Le roi de Rome saura, en ouvrant les yeux, qu’il est fils et petit-fils d’empereurs.
Tout en regagnant son cabinet de travail, Napoléon dicte. Il établit la liste du trousseau de l’enfant, des dignitaires qui doivent être convoqués lorsque l’Impératrice aura ses premières douleurs, puis il fixe l’ordonnancement des cérémonies qui suivront la naissance, cent un coups de canon, le défilé des grenadiers de la Garde. Il se tourne vers Duroc qui a murmuré une question, qu’il devine plutôt qu’il n’entend. Vingt et un coups de canon s’il s’agit d’une fille, dit-il à regret. Mais ce sera un fils. Les témoins de la naissance seront Eugène, vice-roi d’Italie, et le grand-duc de Würzburg.
Il entre dans son cabinet de travail. Il veut que tout lui soit soumis, aussi bien les esquisses de Prudhon pour le berceau en vermeil que la liste des médecins qui assisteront l’Impératrice. Tout.
Trois mois, cela suffit à peine pour imaginer, prévoir, convoquer.
Le temps manque toujours, dit-il. 1811, l’année à venir, est sa quarante-deuxième année. Tout ce qu’il a fait jusqu’alors, il le ressent ainsi, n’a été que la préparation de la période de son destin, dans laquelle il s’engage.
Il commence sa vraie vie d’Empereur. Il dispose de la puissance des armes, de l’obéissance des peuples, de l’expérience et encore de la force de la jeunesse.
Il peut chasser des heures durant, hier dans la plaine de Rozoy, aujourd’hui même à la Croix de Saint-Hérem. Et il a débusqué le cerf. Il est le plus rapide des cavaliers.
Et dans le lit de Marie-Louise, ou dans celui de cette brune si vive, la belle-fille du commandant Lebel, adjoint au gouverneur de Saint-Cloud, qui s’est offerte et qu’il a prise quelques nuits, parce qu’on ne refuse pas ce que la vie vous offre, il est plus gaillard que le sous-lieutenant qu’il a été, et qui fut, il s’en souvient, maladroit, timide même, trop brusque et trop pressé.
Il est au plein de sa vie.
Tous ces rois ont été contraints de reconnaître sa dynastie, de l’admettre parmi eux. Il a conquis son trône, et une impératrice de vingt ans va lui donner un fils.
Personne ne viendra obscurcir ce midi de son destin. Il ne le tolérera pas.
Il s’assied. Il regarde les bulletins de police, les dépêches, les rapports placés dans leurs différentes boîtes sur la table. Il voudrait ne pas avoir à plonger les mains dans ces papiers. Sa vie est devenue si pleine sans eux !
Marie-Louise le réclame à tout instant. Et il aime leurs tête-à-tête, sa naïveté, sa peau surtout, et ce corps qui change avec la maternité. Tout cela, si nouveau pour lui, alors qu’ici c’est l’ordinaire gris, la brutalité et les manoeuvres sournoises, cette réalité dans laquelle il marche depuis son enfance, sans illusions.
Il lit le premier rapport de police : « Les gens les plus sages dans le commerce sont effrayés de l’avenir. La crise est
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