[Napoléon 3] L'empereur des rois
relation de la bataille par un « témoin oculaire », qu’il fait éditer à Berlin et à Paris. Il corrige le chiffre des pertes. « Mille cinq cents morts et quatre mille trois cents blessés », dit-il. Quand le général Bertrand, qui prend sous la dictée ce récit et ces chiffres, relève la tête, Napoléon le fixe et, d’une voix chargée de mépris, il dit :
— C’est de cette manière que parlera l’Histoire.
Il s’éloigne, laisse Bertrand relire cette « relation de la bataille d’Eylau ».
Comment combattre le mensonge d’un Bennigsen qui prétend avoir remporté la victoire, sinon en combattant aussi pour la conquête de l’opinion ? L’esprit des hommes est un champ de bataille.
Mais il sait bien quelle est la réalité : il n’a pas détruit l’armée russe, même s’il l’a battue à Eylau. Il faudra reprendre au printemps le chemin de la guerre, jusqu’à ce que la paix soit imposée à ce roi de Prusse et à ce tsar, à cette Angleterre qui la refusent.
Et cette prochaine campagne, qui sera – il le faut – décisive, se prépare.
Il faut des hommes d’abord. Il dit à Berthier qu’il faut rallier les milliers de traînards, de maraudeurs, de fuyards qui errent dans la campagne.
« Il faut leur faire honte de leur lâcheté. »
Puis il faut des approvisionnements.
« Notre position sera belle lorsque nos vivres seront assurés, répète-t-il. Battre les Russes si j’ai du pain, c’est un enfantillage. »
Il convoque Daru, l’intendant général de la Grande Armée, qui invoque des difficultés pour l’exécution des ordres.
Que sont ces hommes-là ? Il les sent incertains. Il faut donc les secouer. Les reprendre en main.
« Il y a longtemps que je fais la guerre, Daru. Exécutez mes ordres sans les discuter… D’ailleurs, quand ce que je dis là ne conviendrait à personne, c’est ma volonté. »
Peut-être après la bataille d’Eylau l’a-t-on cru affaibli, hésitant, prêt à céder.
Il galope dans la campagne autour d’Osterode pour reprendre son corps en main.
Peut-être en effet a-t-il été atteint par cette sombre victoire, si sanglante. Mais quel serait le sens de tant de sacrifices s’il reculait maintenant ? Il faut au contraire tenir fort les rênes.
Il rentre au château d’Ordenschloss. Les dépêches de Paris viennent d’arriver. Il commence par les rapports des espions de police. On murmure pour la paix, on critique dans les salons. Et jusque dans celui de l’Impératrice. Il écrit rageusement à Joséphine :
« J’apprends, mon amie, que les mauvais propos que l’on tenait dans ton salon à Mayence se renouvellent : fais-les donc taire. Je te saurais fort mauvais gré si tu n’y portais pas remède. Tu te laisses affliger par les propos de gens qui devraient te consoler. Je te recommande un peu de caractère et de savoir mettre tout le monde à sa place…
« Voilà, mon amie, le seul moyen de mériter mon approbation. Les grandeurs ont leurs inconvénients : une impératrice ne peut aller là où va une particulière.
« Mille et mille amitiés. Ma santé est bonne. Mes affaires vont bien.
« Napoléon »
Amitié .
Il la blesse par ce mot. Il le sait. Mais comment ne pas l’employer alors qu’elle se refuse à comprendre, qu’elle répète maintenant dans ses lettres qu’elle veut mourir ?
« Tu ne dois pas mourir, reprend-il, tu te portes bien, et tu ne peux avoir aucun sujet raisonnable de chagrin.
« Tu ne dois pas penser à voyager cet été ; tout cela n’est pas possible. Tu ne dois pas courir les auberges et les camps. Je désire autant que toi te voir et même vivre tranquille.
« Je sais faire autre chose que la guerre, mais le devoir passe avant tout. Toute ma vie j’ai tout sacrifié, tranquillité, intérêt, bonheur, à ma destinée.
« Adieu, mon amie.
« Napoléon »
Si je ne tiens pas les rênes, ils se laissent aller .
Il ouvre une dépêche, la jette à terre.
« Junot m’écrit toujours avec du grand papier de deuil, qui me donne des idées sinistres quand je reçois ses lettres ! s’exclame-t-il. Faites-lui donc connaître que cela est contraire à l’usage et au respect et qu’on n’écrit jamais à un supérieur avec le caractère de deuil d’une affection particulière. »
Ont-ils oublié qui je suis ?
Ils se relâchent. Ils parlent. Cette madame de Staël s’est rapprochée de Paris alors qu’elle doit s’en tenir éloignée
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