[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
C’est comme un océan en feu.
Il lance des ordres. Il faut protéger le plus de bâtiments possible, sauver les ponts sur la Moskova, essayer de mettre les provisions à l’abri. Arrêter et fusiller immédiatement tous les incendiaires.
Les Russes veulent me chasser de Moscou, brûler tout ce qui peut nous être utile et nous laisser nus dans l’hiver qui vient .
Ce sont des Scythes, des barbares. Quelle guerre font-ils ?
Il ne peut se détacher de ce spectacle. Une fumée cuivreuse garnit toute l’atmosphère et s’élève haut, pleine de jaillissements d’étincelles, de brandons. Parfois des explosions se produisent, créant des tourbillons.
Les Russes, explique Caulaincourt, ont placé des charges, des obus dans les poêles de différents palais.
Napoléon suit des yeux les volutes de fumée nacrée qui forment en se rejoignant une sorte de pyramide dont la base recouvre toute la ville. Au-dessus apparaît la lune.
Aucune fiction, murmure-t-il, aucune poésie ne peut égaler cette réalité.
Il se tourne vers le général Mouton qui se tient près de lui.
— Ceci nous présage les plus grands malheurs, ajoute-t-il.
Puis il se reprend. Un empereur ne se confie pas.
Il écarte ceux qui l’entourent, descend dans la cour du Kremlin. Il est neuf heures du matin. Le vent a tourné à l’ouest. Les maisons proches du Kremlin commencent à flamber. Il sent cette odeur soufrée, il respire cet air qui irrite la gorge, la peau et les yeux. Il s’arrête. Des soldats de la Garde encadrent deux hommes en uniforme, aux visages noircis. Ce sont des boutechnicks , des policiers.
Qu’on les interroge.
Il va et vient devant eux. On traduit leurs réponses. L’incendie a été préparé par ordre du gouverneur Rostopchine, confirment-ils. Des policiers ont été chargés de l’allumer quartier par quartier.
Tout à coup, l’arsenal, proche du Kremlin, s’embrase. Il voit des soldats de la Garde qui tentent d’empêcher le pont qui traverse la Moskova à partir du Kremlin de s’embraser. Leurs bonnets à poils brûlent sur leurs têtes. L’atmosphère devient irrespirable.
Les Russes peuvent avoir combiné cet incendie avec une attaque de leurs troupes sur Moscou. Il ne peut rester enfermé dans la ville. Il faut en sortir.
Il multiplie les ordres. Il ne se laissera jamais prendre dans un piège. Il sort du Kremlin, marche dans les décombres des quartiers ouest. Il avance dans la chaleur étouffante, un mouchoir sur la bouche, il marche sur une terre de feu, dans un ciel de feu. Des brandons tombent autour de lui. Il longe la Moskova. L’incendie ressemble à un crépuscule rouge qui embrase tout l’horizon.
Il traverse la Moskova sur un pont de pierre, monte à cheval.
La monture se cabre. Tout au long de la route de Mojaïsk, l’incendie déroule ses murailles de flammes. Les faubourgs sont détruits. Des soldats errent dans les ruines fumantes, s’enfoncent dans les caves, pillent les maisons calcinées.
Que deviendra la Grande Armée livrée ainsi aux instincts ?
Il s’installe au château de Petreskoïe, à deux lieues de Moscou. Il veut rester seul. Il marche dans le parc. Il regarde l’horizon. Moscou continue de brûler malgré une pluie fine qui commence à tomber.
Il est replié sur lui-même. Les projets se succèdent dans sa tête. Parfois, dans ce château, le plus beau qu’il ait habité depuis le début de la campagne, il va vers la table sur laquelle les cartes ont été déroulées.
Il appelle Berthier, Eugène de Beauharnais, Murat. D’abord, il ne parle pas. Que pensent-ils ? Il les dévisage. Murat est le seul qui paraît satisfait. Il prétend que les cosaques de l’arrière-garde de Koutousov ont tant d’estime pour sa bravoure qu’ils ont décidé de ne pas le tuer !
Berthier, prince de Neuchâtel, rêve de retrouver son château de Grosbois, d’y organiser des chasses et d’y recevoir sa maîtresse, Mme de Visconti ! Quant à Eugène, fidèle entre les fidèles, il est lui aussi las de cette guerre, si loin des siens, de l’Italie.
Et moi ? Croient-ils que je n’ai pas de rêve ?
Il se retourne vers le portrait du roi de Rome qu’il a fait placer dans la pièce.
Il va et vient, les mains derrière le dos, la tête penchée, sans les regarder.
— Nous pouvons, commence-t-il, l’incendie éteint, rester à Moscou. Les subsistances sont dans les caves et toutes les maisons n’auront pas été détruites.
Il les regarde. Aucun
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