[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
prie, en le faisant, d’écrire à l’empereur Alexandre, pour la personne de qui j’ai toujours la même estime, que je désire la paix.
Il regarde s’éloigner Toutolmine.
Il faut toujours tout tenter. La paix, maintenant, alors qu’il est à Moscou, serait la meilleure des solutions. Peu en importent les conditions. Si elle était signée, elle paraîtrait à l’Europe comme le couronnement de la victoire militaire, alors que, s’il devait quitter Moscou sans avoir pu conclure une négociation avec le tsar, cela serait considéré comme un échec.
— L’Europe me regarde, dit-il à Caulaincourt.
Il se tait quelques minutes, puis tout à coup questionne :
— Voulez-vous aller à Pétersbourg, monsieur le grand écuyer ? Vous verrez l’empereur Alexandre. Je vous chargerai d’une lettre et vous ferez la paix.
Il faut savoir aller au-delà de son orgueil. J’ai souvent fustigé Caulaincourt. Aujourd’hui, j’ai besoin de lui .
Caulaincourt refuse, déclare que la mission serait inutile.
Que sait-on de ce qui est possible ou impossible avant de l’avoir tenté ?
— N’allez qu’au quartier général du maréchal Koutousov !
Mais Caulaincourt s’obstine.
— Eh bien, j’enverrai Lauriston, il aura l’honneur d’avoir fait la paix et de sauver la couronne de votre ami Alexandre.
Je dois tout tenter pour obtenir la paix. Mais comment croire qu’elle est possible ? L’incendie de Moscou est la preuve même de la détermination des Russes. Caulaincourt croit-il que j’imagine un seul instant qu’une mission auprès d’Alexandre ait de fortes chances de réussir ? Mais serais-je persuadé qu’elle est vouée à l’échec, que je la tenterais quand même, puisque la paix serait la meilleure des solutions. Et qu’il ne me coûte rien de l’essayer, seulement un peu d’orgueil. Et qui s’arrête à cela quand le destin est en jeu ?
Il reçoit Iakovlev, l’un des rares seigneurs russes restés à Moscou. L’homme est vieux. Il avoue qu’il voulait quitter Moscou, mais qu’il n’a pu mettre son projet à exécution. Il parle parfaitement français, avec élégance. Il a autrefois connu à Paris le maréchal Mortier.
— Je ne fais pas la guerre à la Russie, commence Napoléon, mais à l’Angleterre. Pourquoi le vandalisme d’un Rostopchine ?
Il parle longuement, puis tout à coup s’interrompt.
— Si j’écrivais, porteriez-vous ma lettre et pourrais-je être sûr qu’elle serait remise à Alexandre ? Dans ce cas, je vous ferais donner un laissez-passer, pour vous et tous les vôtres.
Iakovlev hoche la tête.
— J’accepterais volontiers la proposition de Votre Majesté, dit-il, mais il m’est difficile d’en répondre.
Il m’importe peu que Iakovlev demeure ou non à Moscou. Je dois courir la chance de renouer avec Alexandre .
D’un seul trait, il dicte une lettre pour le tsar.
« Monsieur mon Frère,
« La belle et superbe ville de Moscou n’existe plus. Rostopchine l’a fait brûler. Quatre cents incendiaires ont été arrêtés sur le fait ; tous ont déclaré qu’ils mettaient le feu par les ordres de ce gouverneur et du directeur de la Police ; ils ont été fusillés. Le feu paraît enfin avoir cessé. Les trois quarts des maisons sont brûlées, un quart restent.
« Cette conduite est atroce et sans but. A-t-elle pour objet de nous priver de quelques ressources ? Mais ces ressources étaient dans les caves que le feu n’a pu atteindre. D’ailleurs, comment détruire une ville des plus belles du monde et l’ouvrage des siècles pour atteindre un si faible but ? Si je supposais que de pareilles choses fussent faites par les ordres de Votre Majesté, je ne lui écrirais pas cette lettre ; mais je tiens pour impossible qu’avec ses principes, son coeur, la justesse de ses idées elle ait autorisé de pareils excès, indignes d’un grand souverain et d’une grande nation. »
Il faut toujours, quand on ne peut écraser totalement un adversaire, lui laisser la possibilité de fuir et de sauver les apparences, pour qu’au lieu d’être acculé à se battre jusqu’à la mort il accepte de traiter.
Je dois tendre la main à Alexandre, quel que soit cet homme dont j’ai dit tant de fois, dont je sais qu’il est faux .
Napoléon reprend :
« J’ai fait la guerre à Votre Majesté sans animosité : un billet d’elle avant ou après la dernière bataille eût arrêté ma marche, et j’eusse voulu être à
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