[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
d’être coupé de toute relation avec Paris, encerclé ici.
— C’est ce qui peut arriver si les Russes ont le sens commun, dit-il.
Un aide de camp s’approche. Le vice-roi Eugène, explique-t-il, a dû abandonner Vitbesk. L’artillerie est perdue. Les chevaux non ferrés, épuisés, n’ont pu tirer les canons sur le verglas.
Les troupes de Wittgenstein ont donc occupé Vitebsk. Et, au sud, les soldats de Tchitchakov ne doivent être qu’à une trentaine de lieues de cette ville. Si l’on ne passe pas avant qu’ils se rejoignent, nous serons dans la boucle. Il faut empêcher cela.
Il se met à l’abri dans le château de Pnevo, aussi glacial qu’une place ventée. Il dicte une dépêche pour le maréchal Victor, afin qu’il contre-attaque les troupes de Wittgenstein.
« Dans peu de jours, vos derrières peuvent être inondés de cosaques : l’armée et l’Empereur seront demain à Smolensk, mais bien fatigués par une marche de cent vingt lieues sans s’arrêter. Prenez l’offensive, le salut des armées en dépend ; tout jour de retard est une calamité. La cavalerie de l’armée est à pied, le froid a fait mourir tous les chevaux. Marchez, c’est l’ordre de l’Empereur et celui de la nécessité. »
Ne pas céder. Se battre.
Que tous les officiers restés montés se réunissent en un escadron sacré. Les généraux y feront office de capitaines, les colonels de sous-officiers.
Se battre. Écrire, donc, pour prouver à tous ceux qui me guettent que je suis vivant . Une estafette va partir, tenter de rejoindre Paris.
« Mon amie, je suis fâché que le ministre de la Guerre t’ait envoyé un aide de camp pour l’affaire des scélérats qui ont voulu assassiner Hulin, écrit-il à Marie-Louise. Tout cela, je crains, ne t’ait fait de la peine, quoique je connaisse ton caractère.
« Tu vois que je me rapproche. Demain, je serai à Smolensk, c’est-à-dire bien rapproché de Paris de plus de cent lieues. Le temps commence à vouloir se brouiller, de venir à la neige. Je lis tes lettres avec autant de plaisir que tu peux avoir à lire les miennes. J’espère que tu m’apprendras bientôt que mon fils a fait ses dents et a repris sa belle humeur.
« Adieu, ma bonne Louise, embrasse mon fils deux fois et surtout ne doute jamais de tout l’amour que je te porte. Tout à toi.
« Nap. »
« Le 7 novembre, à une heure du matin. »
Dehors, la mort partout.
Il recommence à marcher. Puis le soleil s’éclaircit, et il aperçoit au loin les clochers de Smolensk qui resplendissent sous le soleil.
Le lundi 9 novembre, il rentre dans Smolensk. Il faut regrouper l’armée ici.
Il parcourt la ville, où les destructions de la bataille du mois d’août sont encore béantes. Et les rues sont, comme alors, pleines de morts. Mais ce ne sont plus les Russes. Ce sont les soldats épuisés qui ont agonisé ici. Ce sont ceux qui se sont battus pour accéder aux magasins d’approvisionnement et les ont dévalisés. Ce sont ceux qui ont été tués par des pillards. Il les voit parfois, sortant des caves où ils se sont réfugiés, et où personne n’ose descendre. On y risquerait sa vie.
Il s’installe dans l’une des rares maisons intactes. Mais comment prendre du repos ? Les Russes ont attaqué au nord. Et le général Augereau a capitulé à Ljachewo. Il faut avancer vite, vers l’ouest, tenter de franchir la Bérézina, atteindre les zones moins dévastées, au climat moins rude.
Tout gèle, ici. Il fait moins vingt-cinq degrés.
On apporte une proclamation de Koutousov, saisie sur un cadavre russe. Elle est datée du 31 octobre. Il la lit. « Hâtons-nous de poursuivre cet ennemi impie… Éteignez les flammes de Moscou dans le sang de votre ennemi, écrit Koutousov. Russes, obéissez à cet ordre solennel. Alors, votre patrie apaisée par cette juste vengeance se retirera satisfaite du théâtre de la guerre et, derrière ses vastes frontières, elle prendra une attitude majestueuse entre la paix et la gloire. Guerriers russes, Dieu est votre guide ! »
Est-ce Dieu qui autorise les paysans russes à faire bouillir les soldats français ? Mais il ne sert à rien de s’indigner. Il faut se battre et passer.
Chaque jour, il inspecte les environs de Smolensk. Partout, des morts, des voitures qui brûlent, des chevaux qu’on dépèce. Des hommes qui négocient avec d’autres, échangent les bijoux qu’ils ont volés contre une bouteille
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