[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
commandés par des officiers aguerris. J’ai de l’argent, des armes, de quoi former de bons cadres ; j’aurai des conscrits et cinq cent mille hommes sous les armes sur les bords du Rhin, avant trois mois. La cavalerie sera la plus longue à réunir et à former, mais j’ai ce qui donne toutes choses – de l’argent, dans les caves des Tuileries.
Il s’impatiente. Le traîneau n’avance plus que lentement. Les grands vents ont accumulé la neige en immenses amoncellements. Il peste.
— La nation a besoin de moi, dit-il. Si elle répond à mon attente, tout sera promptement réparé.
Il essaie de voir la route, mais il se rencogne sous la pelisse.
— On dit que j’aime le pouvoir ! Jamais les prisons n’ont réuni moins de prisonniers ! Point de vexations, point de haines, plus de partis, grâce à moi. Premier Consul, Empereur, j’ai été le roi du peuple, j’ai gouverné pour lui, dans son intérêt, sans me laisser détourner par les clameurs ou les intérêts de certaines gens. On le sait, en France. Aussi le peuple français m’aime-t-il. Je dis « le peuple », c’est-à-dire la nation, car je n’ai jamais favorisé ce que beaucoup de gens entendraient par le mot « peuple » : la canaille.
Il hausse les épaules.
— On appelle cela ma tyrannie, on dit que je suis un tyran parce que je ne veux pas laisser quelques intrigantes, quelques folles faire parler d’elles pour des conspirations dont je me moque. La société des salons est toujours en état d’hostilité contre le gouvernement. On critique tout et on ne loue jamais rien. La masse de la nation est juste. Elle voit que je travaille pour sa gloire, pour son bonheur, pour son avenir. Si c’était pour moi, que me manque-t-il ? Que puis-je personnellement désirer ? J’ai donné la loi à l’Europe. J’ai distribué des couronnes. J’ai donné des millions, mais je n’ai pas besoin d’argent pour moi. Personne n’est moins que moi occupé de ce qui lui est personnel !
C’est le lundi 14 décembre à minuit. Après Görlitz, Bautzen, on arrive à Dresde. On erre dans les rues de la ville à la recherche de l’hôtel du ministre de France, mais la ville, balayée par le vent, est déserte.
Deux heures ! Deux heures avant de trouver ce bâtiment rue de Perna ! Et il faut aussitôt travailler, dicter, pour que des dépêches partent. Il doit être le premier à avertir l’empereur d’Autriche de son retour à Paris, afin de le convaincre que tout va bien, qu’il n’a pas été défait.
« Malgré d’assez grandes fatigues, ma santé n’a jamais été meilleure…, dit-il au père de Marie-Louise. Je serai dans quelques jours à Paris ; j’y resterai les mois d’hiver pour vaquer à mes affaires les plus importantes.
« Je suis plein de confiance dans les sentiments de Votre Majesté. L’alliance que nous avons contractée forme un système permanent… Votre Majesté fera tout ce qu’elle m’a promis pour assurer le triomphe de la cause commune et nous conduire promptement à une paix convenable. »
Il faut enfermer l’empereur François, mon très cher Beau-Père, dans cette alliance. Et les mots peuvent être des liens .
Le roi de Saxe arrive. Napoléon est couché depuis une heure. Le roi s’assied dans la chambre.
Quelques phrases pour le rassurer, lui montrer que je suis toujours la puissance qui fait la loi en Allemagne .
Puis repartir, et arriver à Leipzig alors que le jour s’achève.
L’air est plus doux, la neige a presque disparu en ville. Il se sent joyeux. Ces maisons, après les masures de Russie, ces collines, ces clochers, c’est un monde et un paysage qu’il reconnaît. Il va et vient à pas lents sur la place, dans le jardin pendant près d’une heure, il dîne avec le consul de France à l’hôtel de Prusse, puis on repart.
À Weimar, la voiture sur patins que le roi de Saxe lui a offerte à Dresde se brise. Il faut monter dans une carriole de poste. Plus loin, on change de véhicule et de chevaux. Le maître de poste d’Eisenach tarde à les atteler, se dérobe. Il faut le menacer. Son épouse pleure, supplie.
Quand donc arrivera-t-on ?
Il veut calculer la distance qui reste jusqu’au Rhin, jusqu’à Paris. Combien d’heures, combien de jours ?
On est le mercredi 16 décembre. Il lui semble qu’il vit sur la route depuis des mois, alors que seulement onze jours se sont écoulés.
Et tout à coup, un cavalier. On arrête la voiture.
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