[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
fille bien-aimée, et qui prend tant d’intérêt à lui et à mon pays de naissance, que si mon père se laisse entraîner, les Français seront à Vienne avant septembre et qu’il aura perdu l’amitié d’un homme qui lui est bien attaché.”
« Écris-lui dans le même sens pour son intérêt plus que pour le mien, car je les vois venir depuis longtemps et je suis prêt.
« Addio, mio dolce amore .
« Ton Nap. »
Il a fait ce qu’il devait.
Il entre à Dresde le samedi 8 mai à huit heures du matin, alors que le soleil inonde la ville d’une lumière légère. On entend au loin la canonnade, et des fumées s’élèvent au-dessus de l’Elbe. Les Russes et les Prussiens ont brûlé les ponts dans leur retraite vers Breslau, le long de la frontière autrichienne. Ils reculent en ordre.
Tout à coup, au milieu de la rue, à quelques mètres des portes de la ville, il voit s’avancer une députation solennelle, portant les clés de la cité. Il regarde ces hommes avec mépris.
Il y a quelques jours encore, ils fêtaient Frédéric-Guillaume de Prusse et le tsar Alexandre. Ils offraient avec enthousiasme à ceux qu’ils imaginaient être leurs vainqueurs l’hospitalité et des tributs. Et maintenant, les voici penauds et tremblants devant moi .
— Vous mériteriez que je vous traitasse en pays conquis ! lance-t-il. J’ai l’état des volontaires que vous avez armés, habillés et équipés contre moi. Vos jeunes filles ont semé des fleurs sous le pas des monarques, mes ennemis.
Que reste-t-il de ces guirlandes et de ces pétales ? Le fumier sur les pavés de la rue !
Son cheval piaffe. Ces notables tremblent. Mais il faut aussi se servir de la lâcheté des hommes.
— Cependant, je veux tout pardonner, reprend-il. Bénissez votre roi, car il est votre sauveur. Qu’une députation d’entre vous aille le prier de vous rendre sa présence. Je ne pardonne que pour l’amour de lui. Je veillerai à ce que la guerre vous cause le moins de maux qu’il sera possible.
J’ai besoin de Frédéric-Auguste, roi de Saxe. J’ai besoin de ses cavaliers et de ses soldats. Qu’il rentre triomphalement à Dresde, sa capitale. Je dînerai avec lui. J’oublierai qu’il a fui la ville, m’a refusé l’appui de ses troupes et a attendu ma défaite. Et qu’il ne se rallie comme les habitants de Dresde que parce que je suis vainqueur .
Il s’installe au palais royal, au coeur de cette ville cossue et belle, dans la douceur d’un printemps qui ressemble déjà à l’été.
« On dit que tu es fraîche comme le printemps, écrit-il à Marie-Louise. Je voudrais bien être près de toi. Je t’aime comme la plus chérie des femmes.
« Addio, mio bene .
« Nap. »
Il parcourt les rives de l’Elbe. Il passe en revue les pontonniers qui, dans ces journées chaudes, jettent un pont sur le fleuve. Il voit les hommes travailler à demi nus. Il reste immobile. Il pense à ces ponts sur la Bérézina, à tous ces hommes morts. Le général Éblé et presque tous les pontonniers n’ont survécu que quelques jours à leurs efforts surhumains.
Parfois, ainsi, des images du passé reviennent le trouver avec tant de précision qu’il ne peut s’en arracher que difficilement. À ces moments-là, il aimerait qu’un boulet vienne brusquement faire éclater sa tête.
Il passe le fleuve dès que le pont est jeté. Les Prussiens et les Russes se sont retranchés à Bautzen, sur les rives de la Spree. Il observe de loin leur position, puis il rentre à Dresde.
Ce dimanche 16 mai 1813, il reçoit le comte de Bubna, un général diplomate, envoyé de Metternich. Il l’écoute, tout en marchant à pas lents dans le grand salon du palais royal qu’éclaire le soleil. Mais peu à peu les ombres s’allongent. La nuit vient.
Il laisse parler Bubna, qui expose longuement les conditions de Metternich pour que la paix soit établie. Vienne veut être un médiateur.
Armé ? demande Napoléon.
Il s’arrête devant le comte de Bubna, dont le visage est maintenant éclairé par les chandeliers.
Cet homme est sans mystère, comme les propositions qu’il présente. Il s’agit de me dépouiller et, en fait, de m’acculer à la soumission. On ne veut pas la paix. On veut mon abdication .
Il devine cela. Mais peut-il se soustraire à une négociation ?
— J’estime mon beau-père depuis que je le connais, dit-il. Il a fait le mariage avec moi de la manière la plus noble. Je lui
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