[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
faut se rendre à Saint-Dizier.
Les rues de la ville sont remplies d’une foule qui se presse autour de son cheval, le conduit jusqu’à la maison du maire.
Il écoute, assis sur un rebord de table, interroge avec soin les habitants des villages.
— Il est possible qu’il y ait une affaire demain à Brienne, dit-il.
Il se penche sur une carte, mais il ne voit pas les épingles que les aides de camp ont plantées ici et là pour indiquer la présence des troupes de Blücher et des cosaques. Il revoit le château de Brienne. Le destin le reconduit donc là, dans cette ville, dans cette région où il passa tant d’années de son enfance. C’est sans doute là qu’il va livrer le premier combat de cette campagne de France, où se joue toute sa vie ! Là, à Brienne, où ont commencé à se nouer son destin, ses liens avec cette nation devenue sienne, avec ce métier des armes.
Brienne, où le destin va me soumettre à une nouvelle épreuve .
— Nous allons faire jouer trois cents pièces d’artillerie, dit-il.
Puis il va et vient devant ses officiers. Il faut qu’ils comprennent ce qui est en train de se passer ici, dans cette campagne qui commence :
— Les troupes ennemies se comportent partout horriblement, reprend-il. Tous les habitants se réfugient dans les bois. On ne trouve plus de paysans dans les villages. L’ennemi mange tout, prend tous les chevaux, tous les bestiaux, tous les effets d’habillement, toutes les guenilles des paysans. Ils battent tout le monde, hommes et femmes, et commettent un grand nombre de viols.
Il baisse la tête, les mâchoires serrées, l’expression résolue.
— Je désire promptement tirer mes peuples de cet état de misère et de souffrance qui est véritablement horrible. Cela doit aussi donner fort à penser aux ennemis, le Français n’est pas patient, il est naturellement brave, et je m’attends à les voir s’organiser eux-mêmes en bandes.
Il se souvient des tumultes révolutionnaires, de ceux qu’il a réprimés comme lieutenant, de ceux dont il a été le témoin.
Il dicte une note pour le ministre de la Guerre, le général Clarke.
« Vous m’avez fait connaître que l’artillerie avait une grande quantité de piques : il faut en donner aux gardes nationales qui se rassemblent dans les environs de Paris. Ce sera pour le troisième rang. Faites imprimer une instruction sur la manière de s’en servir. Il faut aussi envoyer des piques dans les départements, cela est préférable aux fourches, et d’ailleurs, dans les villes, on manque même de fourches ! »
On repart. La pluie et le dégel transforment les chemins forestiers en bourbiers. À Mézières, il voit s’avancer dans le brouillard qui a succédé à l’averse un curé qui s’approche à grands pas et répète d’une voix haletante son nom :
— L’abbé Henriot, me reconnaissez-vous, Sire ?
Ce visage sorti du passé, celui d’un ancien maître de quartier du collège de Brienne. Le temps s’efface. Tout se rejoint. L’abbé se propose pour guider les colonnes à travers bois.
Tout à coup, dans la nuit, ces hurlements, cette chevauchée, ces coups de feu. Des cosaques.
Mourir ici ? Peut-être un signe. Là où tout a commencé pour moi .
Il voit la lance d’un cosaque, elle effleure sa poitrine. Le général Gourgaud la détourne violemment, tire un coup de feu. Le cosaque s’abat, mais le général est blessé. La lance, heureusement, a glissé sur sa croix de la Légion d’honneur.
Tout pour moi ne finira pas ici, à Brienne .
Il entend les cris de Ney.
— En avant, les Marie-Louise ! crie Ney, qui conduit les grenadiers de la Vieille Garde encadrant les jeunes recrues. En avant, les Marie-Louise !
Napoléon les suit, les voit s’engager dans les ruelles en pente qui conduisent au château. Il entre derrière elles dans le bâtiment saccagé. Il le parcourt. Il se souvient qu’en 1805, alors qu’il se rendait en Italie afin d’être couronné roi, il avait fait halte et dormi ici. Et déjà, il avait pensé que son destin le ramenait sur les lieux de son enfance. Et pour la troisième fois, le voici en ces lieux, victorieux de Blücher.
Mais pour combien de temps ? Il est anxieux. Il lui suffit de lire quelques lignes des rapports qu’il reçoit pour comprendre que Blücher et Schwarzenberg ont réuni leurs troupes. Et il ne peut rien contre une armée aussi puissante. Il faut se replier dans une tourmente de neige après un
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