Néron
Néron, non plus que de sa cruauté. Néron avait eu à souffrir de la violence de Vestinus, de sa volonté d’obtenir à tout prix ce qu’il désirait. Il avait donc haï ce noble intelligent, rigoureux et riche.
Dans sa maison, au-dessus du forum, Vestinus avait à son service une foule d’esclaves, tous beaux, tous du même âge, et, lorsque Néron s’y rendait, il avait l’impression qu’il n’était pas l’empereur, que Vestinus lui échappait comme Gavius Silvanus venait de le faire.
Et puis Vestinus venait de le défier en épousant Statilia Messalina, une femme aux hanches larges, au port orgueilleux, à la démarche souveraine, dont Néron était l’un des amants et qu’il avait même songé à prendre pour épouse.
Mais Vestinus l’avait devancé.
Alors, cette nuit-là, sous la conduite du tribun Gerellanus, les prétoriens ont fait irruption, glaive à la main, dans la maison du consul Vestinus.
Celui-ci dînait, entouré de convives que l’effroi saisit en voyant les soldats l’arrêter et l’enfermer dans sa chambre.
Le tribun Gerellanus leur expliqua qu’un chirurgien l’y attendait, qu’il avait reçu l’ordre de Néron d’ouvrir les veines de Vestinus, et, comme le corps du consul était celui d’un homme encore jeune et vigoureux, il faudrait le plonger dans l’eau brûlante d’une étuve afin que la mort s’emparât de lui.
Des prétoriens cernaient la salle où les convives tremblaient, ne sachant rien de ce que l’empereur avait décidé pour eux-mêmes.
Ils cherchaient à entendre ce qui se passait dans les pièces voisines où Vestinus agonisait.
Mais c’était le silence. Il subissait le supplice sans se lamenter ni parler.
Alors les invités baissèrent la tête, persuadés que Néron avait décidé de les tuer.
Leur nuit fut une longue agonie.
Enfin, au matin, les prétoriens quittèrent la maison, y laissant le corps exsangue et encore chaud du consul Vestinus.
Les convives s’enfuirent, rendant grâces aux dieux, l’effroi les glaçant encore, tandis que l’aube se levait sur Rome.
Chaque nouveau jour apportait son lot de crimes ou d’actes inattendus, comme si Néron s’employait à prouver à tout instant qu’il était, lui, le seul être libre, à l’instar d’un dieu, et que tous devaient s’incliner et accepter son bon vouloir.
Il contraignit ainsi au suicide le frère aîné de Sénèque, Junius Gallio, cet être à l’âme servile qui s’était avili pour tenter de sauver sa peau.
Il prêtait foi à toutes les dénonciations, récompensant les délateurs qui lui permettaient de trouver des prétextes pour tuer et s’emparer du patrimoine de ceux que la mort emportait.
On trouva ainsi, morts dans leur maison vide, parce qu’ils avaient donné tous leurs biens à leurs esclaves en les affranchissant, les parents de ce Rubellius Plautus dont Néron avait déjà suscité le trépas. Plautus avait espéré que son épouse échapperait à la vindicte de Néron. Mais comment l’empereur aurait-il pu laisser vivre des témoins de ses crimes ?
Et ce d’autant moins que la malheureuse épouse, Politia, veuve ensevelie dans un deuil sans trêve, hurlait au passage de Néron, réclamant justice, fustigeant les affranchis qui incitaient l’empereur à frapper les parents innocents de Rubellius Plautus.
Ce n’étaient pas la vérité ou la justice qui importaient à Néron, mais la jouissance, le plaisir, l’inattendu, cette sensation de tout pouvoir sur tout et sur tous.
Il puisait dans les coffres de l’État, dans ceux des temples, pour verser à la ville de Lugdunum, détruite par un incendie, les quatre millions de sesterces nécessaires à sa reconstruction.
Il faisait affréter des trirèmes pour gagner l’Afrique où le chevalier Bassus prétendait avoir rêvé à l’immense trésor de la Phénicienne Didon, fondatrice de Carthage. Des milliers de lingots d’or étaient enfouis sous quelques mètres de terre en un lieu que, dans son rêve, Bassus avait situé avec précision. Il aurait suffi, pour remplir les caisses de Rome et faire régner le luxe dans tout l’Empire, que quelques milliers d’esclaves creusent le sol.
Néron le crut. Tout Rome applaudit. Écrivains, poètes, chanteurs célébrèrent la Fortune qui, une fois encore, dispensait à Néron ses bienfaits.
Puis Bassus se tua.
Il n’y avait point de trésor, les dieux s’étaient moqués de lui.
Mais personne n’osa murmurer contre
Weitere Kostenlose Bücher