Nice
seins qui se nourrissait d’elle, était le vide plein d’elle. Elle voulait
crier et le mot qui lui venait était Nathalie, Nathalia, Natacha.
Mot-vomissement qui lui rappelait les premières semaines de sa grossesse, ce
dégoût d’elle-même, et elle voulait vomir.
La joie de Gustav quand elle lui avait annoncé qu’elle
attendait un enfant lui avait été insupportable. Il semblait à Helena qu’il
était entré en elle par traîtrise alors qu’elle dormait, se dépêchant de la
souiller, sans même la réveiller. Comment était-ce possible alors qu’il
l’effleurait à peine, qu’elle demeurait immobile, les mains serrant les draps
et parfois elle le repoussait d’un mouvement de ses hanches, de ses cuisses,
instinctif. Il murmurait :
— Vous ne voulez pas Helena ?
Elle se levait, passait sur le balcon.
Ils habitaient une villa de trois étages, à une centaine de
mètres du Magnan, vers la fin de la promenade des Anglais. La nuit celle-ci
était déserte. Le jeu des phares, aux extrémités de la baie des Anges, le cap
Ferrat répondant au cap d’Antibes. Souvent aussi des pêcheurs qui utilisaient
le lamparo, promenant à la surface de la mer une lumière qui oscillait au gré
des mouvements de la barque.
— Expliquez-moi, disait Gustav.
Il était près d’elle, tentait de lui prendre la main. Dans
la nuit pleine, parfois l’inattendu chant d’un coq, venu d’une colline, Fabron
ou la Madeleine et que portait le vent, se mêlait au bruit régulier du ressac.
Helena avait froid. Elle laissait Gustav l’entourer de ses
bras, elle respirait profondément.
— Rien, disait-elle en rentrant dans la chambre.
Il s’allongeait près d’elle, il avançait la main, le corps,
elle serrait les draps, elle était une dune, celle qui borde les étangs de
Semitchasky, l’été, où la végétation ne prend jamais racine, où l’eau disparaît.
Il suffit d’une brise, de quelques heures de sommeil, pour qu’à nouveau la
surface soit lisse.
Le matin, quand Helena se levait, Gustav avait regagné sa
chambre. Il était sans doute sur le chantier de l’hôtel ou bien le long de
cette côte d’Antibes à Monte-Carlo où il achetait des villas, des terrains,
investissant l’argent des immeubles vendus à Berlin, à Vienne, à Brno puisque
Helena ne voulait plus retourner là-bas.
Elle prenait son petit déjeuner dans le jardin, sous les
citronniers, lisait. Peggy Karenberg passait parfois avec Jean, un garçon vigoureux
qui courait dans le jardin, interpellant sa mère en anglais, répétant :
— Partons maman, partons.
Il s’appuyait au bras du fauteuil sur lequel Peggy était
assise, ses cheveux blonds bouclés descendant bas sur la nuque. Il ressemblait
au Frédéric de Semitchasky, mais le regard était plus vif, les gestes brusques,
la voix autoritaire déjà et des rires dont Helena était sûre que Frédéric
jamais ne les avait eus. Elle appelait Jean elle disait : « Raconte-moi,
parle russe. » Il ne savait plus que quelques phrases mais la
prononciation était naturelle. Helena prenait la tête de Jean contre elle :
« mon petit russe », disait-elle. Elle l’embrassait avec fougue.
— Helena, disait Peggy au moment de partir, lui tenant
les mains, qu’attendez-vous ? Vous avez besoin d’un enfant, besoin.
Helena secouait la tête, les regardait s’éloigner,
s’habillait à la hâte, téléphonait au taxi, s’enveloppait le cou d’une longue
écharpe. Elle regardait à peine la ville, la mer. Le chauffeur jurait quand un
tramway grimpant lentement la côte du mont Boron, occupant le centre de la
chaussée, il lui fallait le suivre au pas, parfois jusqu’à ce que l’on vît le
cap Ferrat.
Il doublait le tramway au moment où la route surplombait la
rade de Villefranche, déjà dans la pénombre, le soleil n’éclairant que les
sommets des falaises, le col. Puis Beaulieu, les plages couvertes d’algues
noires et grises, la longue ligne droite qui longeait la voie de chemin de fer,
le chauffeur prenant de la vitesse, l’écharpe d’Helena volant et elle imaginait
cet accident, cette mort nouvelle, l’écharpe s’accrochant aux roues,
l’étranglant.
— Je vous attends Madame ?
Ils étaient arrêtés devant le Casino de Monte-Carlo.
— Revenez à huit heures.
Paix de l’angoisse extérieure, lumineuse et bruyante.
Pertes, gains. Elle jouait peu, méthodique, lançant ses plaques comme elle imaginait
qu’on agit dans un métier. À la
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