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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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charretons
chargés de madriers et de sacs étaient rangés face à l’échafaudage. Le
contremaître sautait à terre, dégageait le panneau et, d’un geste, donnait
l’ordre aux ouvriers de descendre. Il arrêta Luigi par le bras :
    — Qu’est-ce que tu fous toi ?
    Carlo s’avança.
    — C’est mon frère, il fallait qu’il vienne avec moi, on
arrive, il peut rester là.
    — C’est pas un orphelinat, envoie-le à Don Bosco, si tu
veux.
    Le contremaître se mit à crier.
    — Je veux personne sur le chantier, seulement ceux qui
travaillent, tu entends paysan, on dirait que tu as jamais travaillé ?
    Vincente s’avança. Il ne voulait pas que Carlo bondisse. Il
se plaça devant son frère aîné, face au contremaître.
    — Il s’en va, dit-il, il s’en va, vous fâchez pas.
    — Et comment qu’il s’en va, répéta le contremaître.
    Il secouait Luigi, « fous le camp, mendiant, fous le
camp », cria-t-il encore.
    Vincente prit son frère contre lui, l’entraîna hors du
chantier, l’accompagna jusqu’à la Promenade, face à la mer.
    — Reviens ici, dit-il, ce soir, juste avant le coucher
du soleil.
    — On retourne là-bas ? demanda Luigi.
    — On ira là-bas, dit Vincente, chez la dame.
    Puis il regagna le chantier.
     
    Le pain, en ce temps-là, était dur à gagner.
    Il y eut les madriers à décharger. Vincente était debout
parmi les planches sur la charrette. Il les faisait glisser, vers le bord, vers
une épaule, une nuque. Parfois il reconnaissait Carlo à sa chemise, au cou.
Mais déjà il fallait soulever un autre madrier, sentir dans ses paumes, sous
les ongles, les échardes s’enfoncer. Il poussait un juron quand déséquilibrée,
une planche frappait sa cheville. Et cela donnait de la hargne, un supplément
d’énergie. Une brise venue de la mer séchait sa sueur, laissait une impression
de fraîcheur agréable et même, si on ne bougeait plus, une sensation de froid.
    Ils s’arrêtèrent un moment quand la première charrette fut
vidée, regardant la mer, les promeneurs, ce va-et-vient des voitures, les chevaux
frappant du sabot, secouant la houppe placée entre leurs oreilles gainées. Mais
le contremaître gueulait depuis l’échafaudage :
    — Je vous paye pour quoi, pour prendre le soleil ?
    Il y eut les sacs. Carlo se mettait le dos contre le bord du
charreton, arc-bouté, les bras levés au-dessus de la tête, attendant le poids
qui allait envelopper sa nuque, ses épaules, son crâne et tendre les muscles
des cuisses, jusqu’aux pieds, qu’il cambrait sur la terre. Il saisissait le
sac, enfonçant ses ongles dans le papier épais et il fallait pousser dans sa
poitrine, dans sa gorge, un rugissement étouffé pour arracher ce poids,
soulever les pieds, avancer jusqu’à l’échafaudage et là commencer à monter sur
les passerelles, pas après pas, et poser le sac en haut, contre le mur de
brique que les maçons dressaient faisant claquer les briques l’une contre
l’autre dans le mortier frais, raclant d’un coup rapide de truelle les
bourrelets qui débordaient, les recueillant dans leur paume ouverte. En haut,
sur la dernière passerelle, le dos libre enfin, Carlo se redressait. Une
branche de palmier droite comme la hampe d’un drapeau, coincée entre les
briques à l’angle d’un mur, marquait le faîte de la construction.
    Il restait là, l’aîné des Revelli, quelques secondes, pour
reprendre souffle, se sentir homme, léger, fier dans cette brise qui soufflait
forte à cette hauteur, sûr qu’il y avait en lui assez de colère, pour qu’il ne
vive pas toujours ainsi, courbé sous les sacs ou sous les madriers. Il avait
faim, envie de mordre, de saisir. D’avoir dans sa main quelque chose à serrer,
bien à lui ; il s’attardait, s’appropriant la baie, le château, cette
promenade bordée de palmiers où les hommes et les femmes n’étaient que des
silhouettes minuscules, quand on les voyait de si haut.
    Un coup de sifflet. La pause. Carlo s’assit près de
Vincente, un peu à l’écart des autres qui sortaient de leurs musettes des
morceaux de pain, des olives dans des cornets de papier, des oignons qu’ils
coupaient en les plaçant entre le pouce et l’index de leur main gauche, le
couteau dans la main droite, faisant sauter les tranches fines qu’ils mâchaient
méticuleusement avec le pain. Autour d’un feu allumé dans un trou, des hommes
accroupis attendaient que rôtissent des châtaignes rassemblées sous

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