Nice
toucha
aussi du fouet Vincente et celui-ci entraîna Luigi. Le charretier protesta.
— Qu’est-ce que tu veux qu’on foute de ce gamin ?
dit-il.
— Il vient avec nous, dit Carlo.
Il poussa Luigi devant lui et le charretier haussa les
épaules.
— Je m’en fous, dit-il, s’il veut travailler pour rien.
Ceux qui n’avaient pas été choisis se dispersaient,
retournaient vers la fontaine, lentement, lançant leur musette sur le sol,
regardant s’éloigner le charreton qui prenait la direction du Paillon.
Assis contre les montants les hommes se taisaient. Certains
somnolaient. Les Revelli regardaient la ville. Au bord de la rivière, des
lavandières à genoux, un panier en osier tressé placé près d’elles battaient le
linge, des gosses couraient, sautant de flaque en flaque dans le large lit
caillouteux dont le Paillon n’occupait qu’une partie.
— Il ne pleut plus, dit un homme près de Luigi, y a
plus d’eau, les maisons, tout change.
On ne pouvait pas lui donner l’âge. Il avait le visage tanné
de ceux qui ont passé leur vie dans les champs ou sur les échafaudages. Ses
mains posées sur les cuisses étaient recroquevillées, le bout des doigts
presque bleu.
— Tu regardes ? demanda-t-il à Luigi, regarde
bien.
Il secoua ses mains.
— Faut faire attention où on met ses doigts, tu vois,
garde-les dans ta poche si tu peux, moi je les ai laissés sous une pierre, mais
ça repousse.
Il se mit à rire, passant son bras sur l’épaule de Luigi.
— Tiens, là, y a plus d’argent que tu pourras jamais en
avoir.
La charrette longeait un bâtiment massif, entouré d’arcades.
Le toit était orné de coupoles qui donnaient à l’ensemble un aspect oriental.
— Ils sont tous là, tous les soirs, continuait l’homme,
il y a des ducs, les empereurs des Indes, les Russes, les Anglais, les rois,
ils jouent, ils se ruinent. Mais toi tu peux pas te ruiner, t’as rien, tu seras
pas ruiné, mon camarade, jamais, tu seras jamais à plaindre, tu vois, c’est bon
de pas être riche, t’as pas de soucis.
— Ferme-la, on la connaît ta musique.
— Je parle si je veux.
Mais il se tut, Carlo regardait le Casino dont on apercevait
maintenant la façade principale sur la place Masséna que la charrette
commençait à traverser. Fenêtres hautes en plein cintre, succession d’arcades,
motifs sculptés qui décoraient les coupoles comme une église ou un palais royal
situé au centre de l’un des côtés de la place. Des garçons de café disposaient
en avant des arcades, des tables de métal rondes, des chaises et baissaient des
tentes pour protéger cette terrasse du soleil.
— Ils ont une peau fine, tu sais, disait l’homme en se
frottant les mains. C’est pas comme moi.
Il se dressa à demi, se mit à siffler violemment, les doigts
dans la bouche.
— Regarde-là !
Devant l’entrée du casino, une femme agitait son ombrelle
blanche dans la direction des voitures qui stationnaient en file au milieu de
la place. Elle portait une cape aux reflets dorés, un chemisier de dentelle qui
bouffait, un large chapeau à fleurs et une voilette. Près d’elle apparut un
homme – vêtement noir, canne qu’il secouait impérieusement vers les
voitures – qui saisissait la femme par le bras. L’ouvrier près de Luigi se
leva, s’accouda aux montants de la charrette et se mit à crier :
— On t’appelle, cocher, y en a qui veulent se coucher.
Les ouvriers se mirent à rire. Du siège le contremaître sans
se retourner lança :
— Vos gueules.
La charrette traversait la place, longue arène dont les
gradins étaient les façades d’un rose si vif qu’il était presque rouge et que
pointillait le vert cru des volets. Le soleil la prenait obliquement, inondant
le jardin public qui en formait l’un des côtés, vers la mer et la promenade des
Anglais, large allée bordée de palmiers, dominant la plage, de l’embouchure du
Paillon au vallon de Magnan, sur près de deux kilomètres. Quelques promeneurs
malgré l’heure matinale, des femmes avec leur ombrelle, des messieurs en long
pardessus noirs.
La charrette s’arrêta devant un bâtiment en construction,
presque au bout de la Promenade, avant le petit pont qui enjambait le Magnan.
Des hommes travaillaient sur l’échafaudage. Assis sur le sol, d’autres, un
lourd marteau à la main, les yeux à demi fermés, les sourcils couverts de
poussière, taillaient des pierres pour le soubassement. Quatre
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