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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Merani,
Luigi avait compris que tout ce que disait Dante, dans le livre relié sur
lequel il avait appris à lire, devait être vrai. Souvent quand Vincente ne le
surveillait pas, au lieu de lire il s’arrêtait, revenant à la première page de
chaque chant, là où, sous un papier de soie qui le rendait encore plus
mystérieux, se trouvait un dessin, rochers fantastiques, fleuves qui se
perdaient dans les nuages, barques secouées par les flots et reflets de lueurs
sur les visages. La maison du docteur Merani, ses tentures et ses lampes à gaz,
ses tapis, ses longs couloirs, ses portes qui s’ouvraient sur de nouvelles
pièces, avec des meubles, encore des meubles et tant de miroirs, des statues,
des objets en argent, c’était en relief, l’une de ces illustrations. Luigi
était entré dans le dessin, effleurant les meubles du bout des doigts,
découvrant son image renvoyée par un jeu de miroirs, touchant le marbre des
consoles, les animaux sculptés dans le bois, comprenant que ces escaliers
appartenaient à un seul homme et que toutes ces pièces, cette maison, étaient
sa propriété. Dans le lit si large pour lui seul, alors qu’il avait dormi
depuis toujours avec quelqu’un, la mère, les frères, il s’était couché gardant
le plus longtemps possible les yeux ouverts. Le rêve vivait autour de lui. Et
assis, le dos à la vasque, sur la place, il imaginait que peut-être il pourrait
retrouver ce lit, la table de cuisine aussi, en marbre, les casseroles en
cuivre accrochées au mur, brillantes, et la tarte qu’on lui avait donnée, après
la viande, chaque fois dans une assiette différente.
    — J’ai dormi dans une barque, dit Vincente à Carlo.
    Il n’osait pas demander « et toi ? » mais il
espérait que son frère lui raconterait sa nuit. Carlo se taisait, mordillant sa
moustache, faisant craquer les phalanges de ses doigts. Vincente connaissait
tous ces tics, il savait, il sentait comme on sent la chaleur, la colère de son
frère aîné. Et il voulait qu’elle explose, pour qu’il se libère.
    — C’est difficile comme là-bas, dit-il, regarde.
    Vincente montrait les hommes assis autour d’eux. Certains se
levaient, faisaient quelques pas, bavardaient un instant, allaient boire un
verre de vin au café de Turin, revenaient s’asseoir, le dos contre la vasque.
    — Ça ne peut pas être pire, dit Carlo.
    — Ici, on est des étrangers.
    — Tu es toujours un étranger tu entends, partout.
    — Tu voulais faire fortune ici, dit encore Vincente.
    Il avait prononcé cette dernière phrase à voix basse, comme
pour s’excuser.
    — Et alors ? Si vous n’êtes pas dans mes pattes…
Et vous aurez votre part.
    Carlo se leva, se mit à marcher. Vincente le voyait qui
passait sous les arcades, s’éloignait, traversait. Vincente alla à sa rencontre
et Luigi le suivait.
    — Si je veux je travaille, dit Vincente, et Luigi
aussi.
    — La dame, commença Luigi, si tu voyais, ils ont toute
une maison, une cour, des escaliers, des étages, des glaces.
    Carlo cracha. Il regarda Vincente.
    — Travailler là-bas, dit-il, des domestiques. C’est ce
que tu cherches ?
    Ils revinrent s’asseoir au bord de la fontaine.
    — Il y a Luigi, dit Vincente. À dix ans, toi et moi, on
avait la maison.
    Une charrette avec deux roues montées sur un axe placé très
haut venait de s’arrêter près de la fontaine. Un homme assis à côté du
conducteur, sur le siège, se leva, frappa dans les mains : « Les gars »
cria-t-il. Tout autour de la vasque les hommes se dressèrent, courant vers la
charrette. Les Revelli étaient au premier rang.
    — J’ai du travail pour la journée, disait l’homme, je
donne deux francs. Il faut décharger des madriers, il y a le ciment et l’eau à
porter. J’ai pas besoin de compagnons, je veux des jeunes, qui ont des bras.
    Certains s’écartaient de la charrette, allaient se rasseoir,
marmonnant quelques mots entre eux.
    — Où est-ce ? demanda quelqu’un.
    — Sur la Promenade, ce soir on vous ramène ici, le
charreton rentre à l’entrepôt. Il me faut dix hommes.
    Le charretier était descendu et avait dégagé le panneau de
bois qui fermait l’arrière de la charrette. L’homme sur le siège prit le fouet
et, s’en servant comme d’une baguette, il désignait dans le groupe ceux qu’il
choisissait. « Toi », dit-il à Carlo. L’aîné des Revelli, le plus
grand, et sous la veste on devinait ses épaules noueuses de bûcheron. Il

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