Nice
Albert S… un baron russe
naturalisé français Frédéric K… sont plus particulièrement accusés d’avoir
constitué un Comité d’aide aux bolcheviks au moment où il est prouvé que ces
derniers n’ont pris le pouvoir qu’avec l’aide de Guillaume II. Certains
jeunes ou ouvriers ont été appréhendés puis relâchés… L’une des personnalités
les plus en vue de notre ville, la baronne Helena… d’origine russe, mariée à un
Autrichien… Ni trahison ni demi-trahison, plus de campagnes pacifistes, plus de
menées allemandes, rien que la guerre. »
Peggy pliait le journal, l’article disparaissait, laissant
place à l’autre partie de la première page, l’éditorial qui reprenait les dernières
phrases de Clemenceau, « le coup de clairon du vieillard aux gants gris »,
comme avait dit Frédéric, écrasant son cigare, ajoutant : « Pourquoi
les nations qui envoient leurs jeunes hommes à la boucherie, se donnent-elles
des vieillards pour les gouverner ? » Lettres capitales de
l’éditorial pour répéter : « Politique intérieure : JE FAIS LA GUERRE . Politique extérieure : JE FAIS TOUJOURS LA GUERRE. » Et le
journaliste ajoutait : « C’est notre devise ici, à cette place
jusqu’à la victoire certaine de nos armes. »
Jean s’écarta de sa mère qui l’interrogeait, trempait à
nouveau le mouchoir dans l’eau de bassin, achevant de lui nettoyer le visage.
— Tu t’es battu ? Ils t’ont parlé de papa ?
Ils savent n’est-ce pas ?
Jean faisait la moue, s’ébrouait.
— Tu veux rester ici, avec moi, demain ?
continuait Peggy.
Il s’arracha à sa mère, cria : « Non, non. »
Elle voulait lui répondre, mais il ramassait son cartable, partait en courant
vers la villa et comme elle se retournait elle vit, dans l’allée, le gendarme
qui avançait, fouillant dans sa sacoche, cherchant le pli, saluant :
— Madame Karenberg ?
Peggy regardait cette enveloppe de papier jaune à son nom,
elle voulait questionner, mais elle était liée, bâillonnée, comme ces condamnés
qu’on attache au poteau, les mains derrière le dos, les soldats lèvent leur
fusil, elle murmura « ils auraient jugé Frédéric, pas comme ça ».
Plus tard, elle se reprocha d’avoir eu, alors qu’elle lisait
le message, une bouffée de joie, comme une chanson qui se déroulait en elle,
l’entraînait, ronde dans le parc de la pension du Sussex où elle avait passé
son enfance, courant autour des arbres, maillon d’une longue chaîne de bras,
les robes blanches en dentelles voletant sur les prés verts. Puis la chanson se
tut, les mains du souvenir l’abandonnèrent, elle fut seule, ce papier jaune au
bout des doigts, le gendarme devant elle qui refermait sa sacoche de cuir.
— Pour l’identification de la baronne Hollenstein,
Madame, et…
Il gardait obstinément les yeux baissés, essayant de faire
passer la lanière dans la boucle, semblant ne pas y parvenir.
— Pour les obsèques… il faudra, puisque votre mari…
Frédéric savait-il ? Les inspecteurs étaient venus en
fin de journée, ils avaient montré le mandat d’arrêt, et dit simplement « prenez
une valise Monsieur, quelques vêtements chauds ». Ils avaient attendu sur
la terrasse sans toucher aux livres, sans perquisitionner, laissant à Karenberg
le temps qu’il voulait, si bien que c’était lui qui était allé vers eux, pour
en finir, « Ne m’accompagne pas » avait-il dit à Peggy. Quand elle
s’était présentée le lendemain, à l’hôtel de police, on l’avait envoyé au
bureau militaire et là, l’ironie du capitaine, la grossièreté de son regard qui
s’attardait sur la poitrine : « Monsieur Karenberg a été transféré à
Marseille. » Le gifler. Peggy s’était avancée, puis elle avait eu peur
pour Frédéric, dit seulement : « Je vais faire intervenir l’ambassade
britannique à Paris. » « Faites, Madame, faites, Madame, je vous en
prie. »
— Mon mari a-t-il été prévenu, demandait Peggy au
gendarme.
Il faisait un signe d’ignorance, saluait, Peggy relisant le
texte :
« Helena Hollenstein, née Karenberg, en résidence
surveillée à Thorenc, département des Alpes-Maritimes, a mis fin à ses jours
volontairement. L’enquête de la gendarmerie… »
Qui peut dire pourquoi ?
Peggy marchait lentement vers la villa. Peut-être le major
avait-il été tué ? Ou simplement ne l’aimait-il plus ? Et cette
exaltation dont parlait
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