Nice
Violette, mais, tu sais,
avec la voiture, je l’ai payée, les Américains, les Anglais, de bons clients.
Je suis occupé toute la journée. J’achèterai une automobile, le dimanche
j’arrête, on va à la pêche, jusqu’au Trayas, moi je veux vivre, ça dure qu’une
fois, la vie, je le sais, je l’ai vu.
— Il est vieux, disait Violette à Louise.
Les deux sœurs, souvent, demeuraient seules dans la cuisine.
Violette épluchant les légumes, Louise tricotant ou surveillant la soupe qui
bouillait. Quand elles étaient ainsi, sans les hommes, Louise se détendait,
questionnait :
— Il t’a dit quelque chose ?
— Il ose pas.
Violette riait.
— Il sait bien que je dirais non.
— Fais-lui comprendre, il cherchera ailleurs.
Louise observait sa sœur. Violette avait une façon d’avancer
les lèvres qui faisait naître de petites rides de chaque côté du nez, son
visage prenait une expression espiègle.
— S’il ne comprend pas tout seul ! Quand il est
là, je ne le vois même pas.
Il dansait bien, pourtant. Alors, à la première valse, s’il
se penchait vers elle : « On la danse ? » Violette se
levait et ils tournaient sur la pointe des pieds, Barnoin la tenant à distance
comme s’il avait eu peur de l’effaroucher. Elle, très droite, l’ignorait, se
laissait guider, obligée de fermer les yeux, parce que ces visages, les arbres
qui défilaient autour d’elle, l’enivraient. Quand la musique cessait, elle chancelait,
s’agrippait à Barnoin qui la recevait contre lui, la reconduisait appuyée à son
bras, et elle s’asseyait entre Dante et Antoine, cependant que Barnoin, debout
près d’elle, la regardait.
Les jeunes Revelli allaient ainsi, dimanche après dimanche,
de bal en bal. Parfois, quand Barnoin avait sa journée retenue par un couple
d’Anglais qui voulaient, par la grande corniche, rejoindre Eze, les Revelli
prenaient le tramway place Garibaldi. Ils s’installaient sur la plate-forme
découverte, l’un près de l’autre, Violette entre ses deux frères, le receveur,
et c’était souvent un ami, Robert ou Bocco, bavardant avec eux, quittant la
plate-forme pour rejoindre la motrice quand il apercevait un inspecteur, puis,
d’un saut ou d’une pirouette, revenant vers eux.
Le tramway longeait le Paillon, des automobiles le
doublaient, les jeunes gens, debout sur la plate-forme, sifflaient les femmes
tenant à deux mains, dans les décapotables, leur chapeau cloche.
Dans la rue de France, le tramway accélérait, et bientôt on
atteignait à l’ouest les zones peu bâties, on découvrait, par les rues perpendiculaires,
la mer à peine ourlée, ce bleu qui donnait à Dante de la joie.
Ils descendaient à Saint-Augustin. C’était déjà la campagne,
des cultures maraîchères, des bouquets de roseaux, une terre sableuse qui
s’étendait jusqu’au Var. Tout au long de la route bordée de platanes, des
jeunes gens allaient, comme les Revelli, en groupe vers la mer. Filles qui se
tenaient par le bras, sautant parfois en cadence, garçons qui les suivaient. Au
retour, les couples s’étaient formés, une fille s’arrêtait au bord du canal
d’irrigation, s’asseyait sur le talus et, posant ses souliers près d’elle,
crevait avec un frisson la couche d’herbe moussue qui masquait l’eau fraîche ;
un garçon plongeait sa main dans le canal, et ils commençaient à parler bas
alors que la nuit, posément, s’étendait.
La route, plus loin vers la mer, longeait l’hippodrome, et
quand, au mois de mai, débutaient les concours hippiques, Dante et Antoine
s’attardaient, regardant, à travers la haie de cyprès, les chevaux s’élancer,
la terre jaillissant sous leurs sabots au-dessus des barrières, la silhouette
de l’officier couchée sur l’encolure.
— Ils font les beaux, disait Dante.
Violette poussait ses frères, elle s’accrochait à leurs
bras, se suspendant à eux, et ils atteignaient ainsi Le Bal des Pilotes. Le dancing – comme on disait depuis que les soldats américains étaient
venus sur le Côte, en 1918 – était construit face au champ d’aviation de
la Californie, à l’extrémité de la Baie des Anges, là où le Var et les courants
avaient accumulé en rides régulières le sable fin, les cailloux ronds sur
lesquels les biplans de l’aéroclub rebondissaient avant de s’élever dans un
bruit de crécelle. Les Revelli s’asseyaient à l’écart du dancing, sur la terre,
ils mangeaient les pan bagnat
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