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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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en classe, quand elle ouvrait le livre au moment de la dictée, pour voler
un mot. Elle copiait vite, n’écoutant même plus Madame Gastaud, l’institutrice,
qui détachait chaque syllabe. Violette mâchonnait son porte-plume, puis, dès
que la maîtresse s’éloignait, elle se baissait, le livre sur ses genoux, sous
le banc, le livre qui irritait les cuisses et le bas-ventre. Madame Gastaud se
retournait : « Violette », la voix s’enfonçait, là.
    — Mademoiselle ? disait-il.
    Elle l’avait vu s’avancer, traverser la chaussée au milieu
des groupes d’employés qui bavardaient, elle avait pris le bras de Madeleine,
l’entraînant vers la place Masséna, mais il les avait rejointes sous les
arcades, au moment où elles s’engageaient dans l’avenue de la Victoire, pour se
mêler à la foule du soir, alors que, dans la demi-obscurité de l’automne, les
silhouettes semblent multipliées et imprécises, discrètes aussi, avec leurs
visages masqués par l’ombre des platanes ou des piliers des arcades.
    Il marchait près d’elle.
    — Vous vous souvenez, continuait-il, dimanche,
Philippe, je vous avais dit que je viendrais.
    Madeleine le dévisageait. Violette, au contraire, détournait
la tête, s’efforçant de ne pas céder à la curiosité, à ce désir de le revoir de
près, d’affronter son regard, de retrouver cet instant, quand il s’était penché
vers elle, au Bal des Pilotes, et elle ne l’avait jamais vu avant, elle
ne l’avait pas entendu s’approcher, écoutant Barnoin qui racontait : « J’ai
crié : « À bas la guerre », et Merani, avec son discours, ça lui
a coupé le sifflet. Mais les gendarmes… Salauds… » Barnoin montrait sa
main dans le plâtre. Cet instant, cette voix : « Mademoiselle… »
Elle avait sursauté et, levant la tête, elle avait rencontré son regard. Si
rarement on voit les yeux… On n’ose pas, on regarde le bas du visage, ou
ailleurs, loin derrière, ou bien on les voit sans les voir. Mais là, ce
dimanche, cette surprise, les yeux, et il avait fallu qu’elle se reprenne, pour
ne pas rester ainsi, avec l’envie de sourire, et peut-être souriait-elle pour
répondre à la joie vert-bleu de ces yeux. Deux danses, l’une après l’autre, la
voix d’ailleurs qui ressemblait à celle de cet acteur venu un dimanche matin, à
l’école. Madame Gastaud avait rassemblé toutes les filles dans la cour. On
avait sorti les bancs et décoré les platanes de guirlandes tricolores. 14 Juillet
1917. L’homme montait sur l’estrade après la distribution des prix, s’avançait,
récitant d’une voix neuve, sans les rondeurs huilées et traînantes qu’on
entendait ici : Ô soldats de l’An II, volontaires, mourez pour
délivrer tous les peuples, vos frères. Et, depuis, d’autres
rencontres avec ces voix hautes, un directeur de Paris qui entrait dans
l’atelier, ces deux dames que Violette entendait au moment où elles sortaient
de Haute Couture : « Charmantes, elles sont charmantes, mais
quel accent, mon Dieu ! C’est vulgaire. »
    Le soir, parfois, dans la cuisine, quand Violette prenait
Lucien sur ses genoux, Louise faisait la vaisselle, se tournait vers son fils :
« Sois sage avec ta tante. » Violette, pour le distraire – pour
le distraire seulement ? – commençait à lui parler. La bouche, la
bouche en cul-de-poule, disait Antoine. « Tu vois, mon cher Lucien, tu
vois, disait Violette, je vais acheter une robe du soir, blanche, avec un
décolleté, et puis je mettrai… »
    Peu à peu, Violette se prenait au jeu, elle effaçait
l’accent des origines, celui de la rue de la République, de Dante, de Louise,
l’accent familier des receveurs du « tram », des cavaliers qui
l’invitaient pour une danse au festin de Gairaut ou de Saint-Pancrace, son
accent à elle, l’accent de Denise, des vendeuses et des couturières, mais pas
l’accent du directeur, de madame le Chef du personnel qui venait de Paris. Pas
l’accent de l’avenue de Verdun.
    Françoise Clément, la veuve d’un ami de Dante qu’on avait
fusillé pendant la guerre, avait aussi cet « accent pointu ». Une « prétentieuse »,
disait-on dans le quartier. « Pourquoi elle se donne des airs ?
Qu’est-ce qu’elle est, une grue. » Maquillée, le dessus des paupières
bleu, elle sortait tard, à l’heure où les hommes rentrent, quand les femmes ont
déjà mis la table et qu’elles attendent, faisant dîner les enfants.

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