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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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toute la longueur de la chaussure.
    Souvent, ils interpellaient Denise et Violette de la grève :
« Venez, Mesdemoiselles, descendez. » Ils avaient cette voix
différente, cet accent net comme le pli d’une jupe, bien repassée, toute neuve.
La voix qui, dès la première danse, au Bal des Pilotes, lui avait dit :
    — Qu’est-ce que vous faites, ce soir ? Je
m’appelle Philippe. Je viens vous chercher, vous voulez bien ?
    Le premier soir, Violette refusa. Il marchait près d’elle.
Elle s’était déplacée, changeant de côté, prenant l’autre bras de Madeleine,
mais il l’avait suivie, et il parlait cependant qu’elle baissait la tête,
poussant parfois du pied les feuilles de platane rousses, luisantes d’une
averse tombée dans l’après-midi.
    — Laissez-nous, ne nous ennuyez pas, disait Madeleine.
    Violette serrait son bras : « Accompagne-moi »,
chuchotait-elle pour qu’il n’entende pas.
    — Vous savez, disait-il, je n’ai plus dansé depuis
l’autre dimanche, vous n’êtes plus venue.
    Il racontait avec l’accent de l’autre rive. Il employait un
drôle de mot : « Marrant, non ? » disait-il. Un mot neuf
que Violette répétait en elle et qui serait plus tard le visage de Philippe. Il
levait une main blanche, doigts longs, ongles roses, une main neuve aussi comme
le mot ou la voix ; si différente, cette main, de celle de Barnoin, une
main que les gendarmes ne briseraient pas. Violette regardait la main, et il
fallait qu’elle s’obstine pour ne pas suivre le bras, atteindre l’épaule, le
cou, la bouche, les yeux, mais elle imaginait, au son de la voix : « Marrant,
non ? » le mouvement des lèvres. Elle écoutait, elle noyait le mot
dans la respiration et dans la gorge – « Marrant, marrant ».
    Tout à coup, les lampadaires s’étaient allumés, les flaques
devenant des miroirs ternis, et les vitrines, peu à peu, celles du salon de thé Victoria, s’éclairaient, rectangles jaunes, donnaient des visages aux
passants.
    — Je vous offre quelque chose ? demandait
Philippe.
    Violette d’un brusque mouvement lui fit face, voyant enfin
ces yeux, cette bouche.
    — Mais qu’est-ce que vous croyez ? dit-elle.
    Tant de violence dans sa voix qu’il resta là, au milieu des
passants, laissant s’éloigner Madeleine et Violette, la regardant.
    Violette avait abandonné le bras de Madeleine, elle marchait
seule, d’un pas assuré.
9
    Il la vit qui venait vers lui, altière, marchant comme si
elle avait été seule sur ce trottoir de l’avenue, devant le salon de thé Victoria, alors que la nuit tombait, que s’éclairaient une à une les vitrines, et
cette jeune femme qui s’avançait, surgie de l’ombre, et, à quelques mètres
derrière elle, cet homme jeune, au blouson de cuir ouvert, bras ballant, dont
le visage marquait l’étonnement, cette scène de la rue, si anodine, ces deux
jeunes inconnus qui se séparaient, voilà qu’ils achevaient de bouleverser
Frédéric Karenberg.
    Karenberg se retourna après avoir dépassé l’homme pour voir
s’il allait rejoindre la jeune femme ou l’appeler, mais l’homme restait
immobile, la regardant s’éloigner, s’enfoncer sous les arcades, se mêler à la
foule dans la zone d’ombre. La vie était rupture.
    Karenberg fit demi-tour, traversa de nouveau la place
Masséna, puis les jardins, et se retrouva sur la promenade déserte, avec ces
flaques d’eau, mer et pluie mêlées, et le rythme, respiration bruyante,
ronflement tout à coup rageur de la mer frappant les poutrelles du Casino de la
Jetée. Depuis combien d’heures marchait-il ainsi, hésitant à rentrer, à
retrouver Peggy, épouse perspicace ? « Qu’est-ce que tu as ?
Frédéric, dis-moi ? » Tant de fois, déjà, qu’elle devinait, qu’elle
ne le laissait pas avant que, couché sur le ventre et la tête enfouie sous les
coussins, pour ne pas l’entendre et pour ne pas s’entendre, il se mît à parler.
Peggy qui caressait sa nuque. « Qu’est-ce qu’il y a, Frédéric ? »
Il commençait à raconter, par bribes, cet isolement dans lequel il était, les
illusions des uns et des autres, ces jeunes – Barnoin, Revelli – presque
tous qui croyaient qu’il suffisait de vouloir, de crier en chœur pour que le
monde change, que la justice règne.
    — Ils croient, Peggy.
    Il s’asseyait sur le lit. Il remettait de l’ordre dans ses
cheveux, honteux de ces pleurnicheries qui le secouaient parfois, quand

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