Nice

soleil
décapé. La main du fils dans la main de Ritzen était moite. Ritzen s’en
souvient. Et il serrait les doigts, et il laissait sa main gauche sur l’épaule
de Pierre.
    Ces gosses, combien de ceux qu’il avait vus monter en ligne,
vingt ans à peine, étaient revenus ? « Trop tendres, commandant, trop
tendres, du beurre, répétait le capitaine Bertaud, ils ont fondu. »
    Et maintenant, la boue.
    LIVIO Maurizio, ce gosse qu’on venait d’arrêter.
    — Dites-moi, Renaudin, ce Livio, celui-là, on a des
détails, sa famille ?
    Renaudin prenait la fiche :
    — Je peux faire une recherche.
    — Voyez un peu, répétait Ritzen à mi-voix.
    Soulever la plaque, descendre, comprendre. Depuis la fin de
la guerre, peut-être les souvenirs si présents et la blessure encore douloureuse,
toutes ces victimes – où étaient donc les assassins, qui, quelle police
mènerait l’enquête ? 1 265 000 morts, disait-on, pour la seule
France – l’âge aussi, tant d’hommes boueux, qui plastronnaient dans
l’avant-scène. L’autre soir, monsieur le Député Merani et Madame, la hautaine
Elisabeth d’Aspremont avec la princesse Klioukanski. Le rideau se levait sur le
Trouvère. Merani se penchait vers la princesse, lui parlait à l’oreille,
puis apercevant le préfet au parterre, saluait d’une inclination amicale de la
tête. Quel soir de la semaine Merani recevait-il, dans son appartement du port,
les jeunes putains de Luigi Revelli ?
    Tenir la plaque pour éviter que la boue ne recouvre les
rues, n’atteigne les fils. Il en fallait si peu. Mais comprendre. Le besoin
était si vif chez Ritzen que son comportement se modifiait. « Le patron,
de plus en plus dur. Il veut tout contrôler. »
    — Ce Livio, précisait Renaudin, les Italiens le
réclament. Le fils d’un gros propriétaire. Il a violé deux ou trois gamines,
s’est battu avec l’un des frères, c’est tout. C’est ça, la tentative de
meurtre. On le renvoie ?
    Voir, peut-être un moyen de comprendre.
    — Je veux l’interroger, disait Ritzen. Vous me l’amenez
demain.
    Ritzen, quand les gardiens poussaient Livio dans le bureau,
téléphonait. Le préfet. Toujours les extrémistes. Barnoin avait troublé
l’inauguration d’un monument aux morts, à Drap, lançant au milieu du discours :
« À bas la guerre ! » Les gendarmes s’étaient précipités, l’empoignant,
lui brisant un doigt. « Si mon nom était sur cette plaque, vous me
glorifieriez », criait Barnoin qu’on entraînait.
    — Merani a été très bien, commentait le préfet, il a
repris le thème de son article « Profanateurs, etc. Il ne peut y avoir
qu’un seul parti, celui de la France… » Vous interrogez Barnoin ?
Pour la peinture, c’est lui, cela ne fait aucun doute.
    Ritzen rassurait le préfet en observant Livio. Un jeune
homme à la peau mate, au nez busqué. Il se tenait debout, voûté, grand.
    — Monsieur le Commissaire, c’est une machination
politique, mon père a de la terre, beaucoup, disait-il. Il parlait français
avec un léger accent, tentait de bouger les mains, oubliant les menottes :
« La jalousie… Je suis fasciste, n’est-ce pas ? Ils veulent nous
chasser, ils ont des complicités. Je vous donne ma parole de soldat. »
    Il se redressait, montrait avec les deux pouces un ruban
vert au liséré jaune :
    — Je suis décoré, mais ils veulent me tuer. Vous ne
savez pas encore ce que c’est ici, cette haine qu’ils ont contre nous.
    — On va vous renvoyer là-bas, dit Ritzen, la police
italienne vous réclame.
    Livio sourit.
    — En prison, ils ne me garderont pas longtemps. Nous
allons gagner, monsieur le Commissaire.
    — Enlevez-lui les menottes.
    Livio, libéré, se massait les poignets.
    — Fasciste ? interrogeait Ritzen.
    Il faisait signe aux gardiens qui sortaient, et, de la tête,
il indiquait à Livio qu’il pouvait s’asseoir.

8
    Le premier soir, Violette Revelli refusa.
    Il attendait debout, en face de la sortie des Galeries
Lafayette, les bras croisés, le blouson de cuir ouvert. Le soleil le forçait à
cligner des yeux, et comme Violette était encore dans l’ombre, elle le vit
avant qu’il l’aperçût. Elle descendit rapidement les dernières marches de fer
de l’escalier extérieur que prenaient les employés, elle se plaça derrière
Madeleine Vial qui se retournait, elle chuchota : « Cache-moi,
cache-moi. »
    Les joues brûlantes, elle aurait voulu se recroqueviller,
comme