Nice
a toujours
des espions, des complots. L’histoire, il faut l’accepter.
Double voix. Celle que les autres entendent, et celle,
basse, chuchotante, qui répète : Qui peut croire qu’Andrés Nin,
trotskiste assassiné à Barcelone, est un agent de Franco ? Qui peut croire
que le maréchal Toukhatchevsky, créateur de l’Armée rouge, exécuté à Moscou,
est un agent de Hitler ? Qui peut croire que Zinoviev, l’ancien camarade
Lénine ? Que Trotski ? Que… Voix du père, affaiblie par la
maladie, le désespoir, et d’autant plus forte :
— Jean, disait Frédéric Karenberg, Boris Pilniak, l’un
des plus grands écrivains russes, je te jure, ça ne peut pas être un contre-révolutionnaire,
je te jure. Et Reiss, Reiss !
Ignace Reiss, ancien des services secrets soviétiques, qui
se cachait en Suisse. Il avait commencé à parler. On retrouvait son corps, –
guet-apens – une poignée de cheveux gris dans la main.
— Toujours la même chose, criait Jean Karenberg, les
mêmes histoires, mais les armes, vos armes. – Il s’était levé, marchait au
milieu de l’atelier. – En Espagne, les armes, d’où viennent-elles ?
D’U.R.S.S., pas d’ici. Ici, on assassine les prolétaires.
Le sang. Celui d’Espaltero Rossi, ce cortège sur l’esplanade
Magnan.
— Tu étais là, dit Jean, en interpellant Alexandre
Revelli. Ils l’ont tué Rossi, pas à Moscou, à Barcelone, mais à Cannes. Et qui
l’a tué, nous ? C’est un communiste qu’on a tué !
Assassinés aussi, sur une route de Normandie, les frères
Rosselli, exilés italiens que la Cagoule avait traqués.
— Vos Rosselli, dit Jean, vous êtes italien, c’est nous
qui les avons assassinés ?
Complots de la Cagoule. Explosions à Paris. Cette femme,
Laetitia Toureaux, qui tout à coup, – dans le métro, s’effondrait, un poignard
enfoncé jusqu’à la garde dans la gorge.
— Ici même, la Cagoule a assassiné Luigi Revelli. On le
sait, la police le sait.
Jean Karenberg s’asseyait de nouveau.
— Il n’y a que deux camps, disait-il d’une voix basse
tout à coup. Il faut choisir l’un ou l’autre.
La voix chuchotante en lui toujours, celle de Frédéric
Karenberg : Si l’on cède, une fois, une seule fois, si on maquille la
vérité, tout pourrit, Jean, tout, c’est la gangrène. Si l’on accepte, cela veut
dire que tout se vaut. Alors, à quoi bon, à quoi bon.
— Il n’y a pas d’autre choix possible, répète Jean plus
fort. Violette est assise en face de Rafaele.
Elle suit les gouttes de sueur qui, des sourcils, glissent
au coin des yeux. Elle dit :
— Ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai.
38
« … Le poignard qui a servi à tuer Luigi REVELLI est du même type que celui qu’ont
employé le ou les tueurs de la Cagoule dans l’assassinat des frères ROSSELLI ou bien dans le meurtre de Laeticia TOUREAUX .
Le médecin légiste de Nice après comparaison avec les
clichés que la Direction de la Police criminelle de la Sûreté nationale nous a
fait parvenir est formel.
L’examen des blessures mortelles de Luigi REVELLI montre qu’elles ont été occasionnées
par une lame de 20 à 25 cm de longueur, effilée et soigneusement aiguisée,
une baïonnette qui aurait été raccourcie et pourvue d’un manche.
Les coups portés à Luigi REVELLI ont été si violents que ce manche a laissé un hématome
autour de la blessure. Il s’agirait d’un manche de bois taillé irrégulièrement.
L’emploi de cette arme très particulière confirme que
Luigi REVELLI , ainsi que nous le
suggérions dès nos premiers rapports, n’a pas été victime d’un règlement de
comptes à l’intérieur du milieu délinquant, mais bien d’une vengeance
politique. *
Il ne nous semble plus faire de doute que son assassinat
a été décidé à Paris. Le ou les tueurs sont d’ailleurs probablement venus de la
capitale et ont été assistés par des complices locaux.
Dans mon rapport précédent j’indiquais que nous avions
établi que l’un des chefs de la Cagoule avait séjourné à Nice quelques jours
avant le meurtre. Il a rencontré maître Charles MERANI et Joseph DARNAND ,
entrepreneur de transports (nos rapports A 127, A 128). Nous avons
retrouvé sa trace à Monte-Carlo, et les services de renseignements de l’Armée
(SR), avec qui nous essayons de collaborer, paraissent avoir la preuve qu’il a
pris contact avec le Dottore Maurizio LIVIO à Monte-Carlo et à San Remo, le jour du
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