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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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plus lentement.
    — Je parle souvent à Sonia de sa grand-mère,
disait-elle. J’essaie de comprendre. Yves est médecin, je l’interroge, je lui
ai raconté, le suicide, mais il se désintéresse ; pourtant cette femme si
belle, encore aujourd’hui, certains je le sais, se souviennent d’Helena
Karenberg, l’autre jour à l’hôtel…
    Nathalie s’interrompait, soupirait.
    — Tu vois, quand je suis avec toi, je me laisse
prendre, cette nostalgie, la mémoire, comme un marécage, des sables mouvants.
Quand je joue maintenant, je suis obligée de m’interrompre, sinon je suis prise
tout entière et je ne veux pas.
    Elle abandonnait le bras de Jean, commençait à redescendre
la ruelle vers la place éclairée où sous les platanes les joueurs de boules
s’interpellaient, puis elle attendait Jean.
    — Souvent, je me demande, disait-elle, si tu sors
assez. Tu n’es pas dans le moment présent, tu te laisses ensevelir par tes
souvenirs.
    — Tu me connais bien, murmurait Jean.
    Il quittait rarement la villa Karenberg. En fin d’après-midi,
il remontait le boulevard jusqu’aux arènes, entrait parfois dans cette ellipse
blanche, s’attardait alors, s’asseyant sur les gradins corrodés, longeait le
champ de fouilles qu’on avait ouvert, ces villas, ces thermes dont les
soubassements dégagés marquaient les limites, l’ossature du temps, d’une vie
mise à jour. Le terrain, de couleur rouge, était une vaste planche anatomique
qu’on commençait de dérouler. Jean Karenberg y suivait longuement le croisement
des murs, les cavités, la géométrie qui avait emprisonné l’existence.
    Il rentrait enfin dans la grande villa vide, gagnait la
bibliothèque et là, comme le pressentait Nathalie, il parcourait d’autres
traces, ouvrant le journal de Frédéric Karenberg.
    Chaque date et chaque mot l’aidaient à reconstituer cette
vie dont il était issu.
    Il avait eu, les premières fois, des pudeurs, tournant les
pages quand apparaissait le nom de sa mère : Aujourd’hui j’ai parlé
pour la première fois seul à seul à Peggy, dans le parc de la comtesse
d’Aspremont. Mais Jean ne put résister longtemps, avide de tout connaître,
de ranimer chaque moment.
    Dès que la nuit était tombée il commençait à écrire, à
vivre. Il entendait mal d’abord cette cadence sourde, foule en marche, tambour
voilé, mais au fur et à mesure que la nuit s’avançait, elle était plus
distincte. Elle dictait les mots. Jean s’accordait enfin au rythme grave,
battement du passé qu’il voulait faire renaître.
    Peu de mots.
    Il avait renoncé, après son retour du camp, à ce récit
auquel, chaque nuit là-bas, dans l’odeur de mort, il avait imaginé qu’il donnerait
vie. Mais pourquoi composer des scènes, raconter la vie de Frédéric Karenberg,
ou les foules du camp courbées sous les aboiements des kapos ? Il fallait
simplement dire que le sol se dérobe, que l’amour limité à la vie s’effrite et
n’en reste que cette cendre blanche, retrouvée là-bas, devant les fours.
    Jean s’était soumis à une autre écriture, brève, pliée à
cette cadence entendue dont il n’était plus maître et qu’il recherchait chaque
nuit comme la montée d’une voix intérieure.
    Il ouvrait les portes-fenêtres. Le silence autour de lui
avait retrouvé sa plénitude. Jean écrivait :
     
    Je vais
    De souvenir en
visage
    La nuit se
rassemble en l’unité première
    Je prie.
26
    Denise Revelli avait la tentation de se confier à Roland, de
parler à son fils comme elle n’avait jamais osé le faire avec personne.
    Elle lui dirait enfin ce qui le soir, quand elle se couchait
seule, l’empêchait de dormir, ce sentiment qu’il était trop tard, une brûlure
là, au-dessous des seins, au creux de la poitrine. Elle essayait de respirer
calmement comme le médecin le lui avait conseillé, mais la chambre était
encerclée de bruits, un pas dans l’appartement du dessus, la toux de Dante dans
la salle de bains, la porte qui claquait et son juron, ou bien le moteur d’une
voiture dans le parking. Denise allumait. 11 heures à peine. Déjà. Elle
essayait de lire, cherchait une voix sur le poste de radio que lui avait offert
Roland, se reprochait d’avoir arrêté la télévision si tôt. Elle buvait un verre
d’eau, se retournait dans le lit parce que les draps commençaient à brûler,
pesaient sur elle et elle savait que, bientôt, elle irait à la fenêtre… Elle
aurait peur de se laisser

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