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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Nathalie, tu l’as vue ?
     
    Christiane essayait de s’isoler, d’arracher ce masque qu’on
posait sur son nouveau visage.
    — Revelli, disait le proviseur, vous êtes parente avec
les entrepreneurs, l’architecte ?
    Il raccompagnait Christiane à la porte de son bureau et
comme elle ne lui répondait pas, ajoutait :
    — C’est un nom répandu, ici. Vous avez eu de la chance,
niçoise, votre premier poste à Nice.
    Elle commençait à haïr cette ville, à ne plus reconnaître
ses souvenirs. Les coulées de béton, les traînées d’acier, pare-chocs contre
pare-chocs, la Nice populaire et vivante, la Nice bistre où les tuiles et le
linge qui sèche apportent les taches de couleur, peu à peu enfouie, les
collines dallées de marbre. Ne restait que le ciel trop souvent couvert, dès
que la chaleur gagnait, d’une brume qui semblait à Christiane nouvelle.
    Après les cours, Christiane retrouvait Sylvie, sur le port.
Là, au printemps, elles déjeunaient au soleil, dans le calme des milieux de
journée, le dos appuyé à la façade du restaurant, la colonnade altière fermant,
comme un décor d’opéra, le port.
    — Belle ville, disait Sylvie.
    — Je venais, racontait Christiane, avec mon père et mon
frère, sur la jetée du phare, nous péchions.
    Elles ignoraient toutes deux les remarques narquoises des garçons :
    — Alors mesdemoiselles, on les soigne les élèves, vous
ne voulez pas nous donner des leçons ?
    Elles continuaient de corriger des copies.
    — Qu’ils sont idiots, murmurait Christiane.
    Elle avait oublié la condescendance vulgaire des hommes
d’ici, son père qui était l’un d’eux. Quand elle essayait de lui parler :
    — De Gaulle, tu comprends, ce n’est pas seulement
l’expression de la bourgeoisie, c’est aussi… Tu m’écoutes papa, tu es d’accord ?
    Elle devinait son indifférence moqueuse. La politique, pas
l’affaire des femmes. Qu’attendait-elle pour se marier. Elle continuait cependant,
racontait comment au lycée, ils se rassemblaient.
    — Les communistes, tout le monde. En fait, il n’y a que
quelques fascistes, des O.A.S.
    Dante souriait et si Christiane lui tendait un journal :
« Tu devrais lire… », il haussait les épaules, le prenait avec réticence.
    — Tu t’occupes de politique aussi ? disait-il.
    — Pourquoi pas ? (Elle allumait une cigarette.) On
vote, non ?
    Il parcourait l’article, souriait encore.
    — Tu me fais penser à Violette. Ma sœur, elle n’en a
fait qu’à sa tête. Elle était en avance.
    — Elle s’est mariée, disait Denise. Tu fumes encore ?
    Denise faisait un pas, hésitante, prise entre deux phrases,
deux désirs.
    — Après tout, le mariage, murmurait-elle, puisque tu es
indépendante, tu gagnes bien ta vie, moi je suis mariée mais si j’avais su.
    Christiane se levait. Les acteurs reprenaient leur place.
Denise amère, Dante humilié.
    — Vos histoires, disait Christiane.
    — Tu verras, tu verras, reprenait Denise. Si les gens
se marient, il y a des raisons. Tu te crois la plus forte, tes diplômes, tu
sais, on vieillit quand même.
     
    Christiane sortait, déroulait la capote de sa voiture que le
vent faisait claquer et elle allait vers l’ouest par le bord de la mer,
longeant les chantiers des hautes constructions qui, peu à peu, au delà du Var,
masquaient l’horizon.
    Elle, reprise par eux, Roland, le père, la mère, tous
prisonniers de leur histoire, si opaques à eux-mêmes. Le père plein d’allant
encore, mais lié à ses capitulations, la mère prête à comprendre et qui, au
dernier instant, se bouchait les yeux, criait qu’il fallait suivre cette route
commune où elle s’était embourbée, tous deux si pathétiques, vies déchirées,
mains qui se tendent et n’arrivent pas à se nouer.
    Christiane arrêtait la voiture, marchait sur cette longue
plage de galets, sans savoir que Violette, bien des années auparavant, elle
aussi, avait affronté le souffle vif de la mer pour affirmer sa propre force,
sa volonté de devenir elle-même. Et bras croisés sur la poitrine parce que les
fins de journées, même au printemps, sont sur le rivage, fraîches, Christiane
répétait qu’elle ne plierait pas comme Roland l’avait fait.
    Elle aurait voulu lui parler – il pouvait encore battre
les cartes, infléchir sa vie – mais souvent elle se persuadait qu’il
n’était déjà plus qu’un de ces corps figés que seule une secousse brutale peut
ranimer.
    Un

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