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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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elle avait dit en les voyant :
    — Moi, j’ai attendu trente ans, et j’ai gardé les
volets.
    Dante ressortit de la cour.
    Quelle importance ces bouts de planches, ces lattes de
métal, volets, stores, voiture, marbre ? Ça, la vie pour tant de gens ?
Souvent, quand il parlait avec des retraités rencontrés sur un terrain de
boules, ou bien avec un voisin en attendant devant la caisse du supermarché,
Dante essayait de comprendre ce qu’ils voyaient du monde. Il cessait vite de
les interroger comme s’il avait employé une langue qu’ils ne pouvaient
déchiffrer. Lui, il aurait voulu discuter de l’homme, de la société à venir,
cette Chine, qui sait ? Savoir pourquoi tout ce en quoi il avait cru, et
cela faisait presque un demi-siècle, ne s’était pas réalisé. Il avait alors un
sentiment douloureux de solitude, comme s’il avait été un infirme dont on se
moquait.
    — Vous, Monsieur Revelli, il n’y a que la politique qui
vous intéresse, mais ils sont tous pareils les gouvernants. À votre âge vous ne
l’avez pas encore compris ! disait l’un des joueurs de pétanque qu’il
commençait à connaître.
    La politique ? Un mot. Ça voulait dire, pour Dante,
pourquoi les hommes en sont-ils là, pourquoi mon fils refuse-t-il de me parler,
pourquoi je m’emporte ?
    Dante avait l’impression que les autres agissaient sans
chercher à savoir ce qui les mettait en mouvement. Ils ressemblaient à ces
ouvriers électriciens qui refusaient de lire un schéma, qui montaient une
installation par habitude, noyés déjà dans la routine. À la moindre panne, ils
restaient là, les bras ballants, devant le moteur :
    — Nous, ça on l’a jamais fait, il faut voir avec
l’entreprise, ils enverront un ingénieur.
    Dante les écartait, se penchait, commençait à dévisser :
    — Laisse tomber, lui disaient-ils.
    Dante n’avait pas renoncé à savoir, à croire qu’un jour,
bien après sa mort, ça irait mieux. C’est si court une vie, si court l’histoire
des hommes, et quand même, l’espoir parfois l’emportait à nouveau. Ces jeunes
qui le faisaient rire. Ça montait en lui sans qu’il comprenne pourquoi, comme
un regain de vitalité. Il avait envie de marcher derrière ces adolescents
maigres qui défilaient en désordre.
    — Tu vois, disait-il à Christiane, moi j’étais habillé
comme eux quand j’allais sur les chantiers. Mais on en avait honte. Le dimanche
on mettait une cravate, les souliers vernis. Maintenant, et ça, ce n’est pas
mal, ils s’en moquent.
    — Ils sont sales, disait Denise. De quoi ils ont l’air ?
    Dante lançait un coup d’œil à sa fille qui souriait.
    — Je les entends, reprenait Dante, et il me semble que
c’est nous quand on est revenus de la guerre. C’est drôle les idées. On a beau
taper dessus, et des erreurs, des crimes, on en a vu, et voilà, tous ces
jeunes, les idées, eux aussi. Comment tu expliques ça, toi ?
     
    Les premiers temps après son retour de Paris, Dante avait eu
du mal à discuter avec Christiane. Il avait trop attendu de Roland, un peu
oublié sa fille. Une fille, ça reste une fille. Mais elle s’asseyait prés de
lui, lui prêtait des revues et quand Denise haussait la voix, elle faisait
front, à sa place.
    Surtout elle avait lu, elle savait expliquer, clairement, et
un soir, il était allé, comme elle le lui avait demandé, au ciné-club. Il
attendait pour entrer que la salle soit obscure, il s’installait dans les
derniers rangs, et quand Christiane s’était levée, à la fin de la projection,
qu’elle s’était placée au centre de l’écran, Dante s’était tassé dans son
fauteuil. Elle avait commencé à parler de La Règle du jeu. Quelqu’un
avait levé la main, posé une question. Elle avait répondu. Dante peu à peu se
redressait, regardait autour de lui, voyait Christiane avec les yeux de ce
jeune homme assis près de lui.
    Dante prenait une cigarette, la gardait entre ses lèvres
pour empêcher ce rire qui surgissait en lui. Il n’osait pas applaudir.
    Il sortait l’un des premiers, voulait partir mais ne pouvait
s’y décider, alors il restait sur le trottoir qui faisait face au cinéma. Il
apercevait Christiane au milieu d’un groupe, la plus grande. Elle parlait avec
tant d’animation qu’elle devait, d’un mouvement de tête, rejeter les cheveux
qui lui couvraient les yeux. Elle l’avait vu. Il se dérobait mais elle
traversait la rue en courant, le prenait par le bras,

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