Nice
bouclés, un visage dont il
n’apercevait que les yeux, Dante qui sans doute se haussait sur la pointe des
pieds. Lisa se pencha, souleva son fils le prenant dans les bras, le forçant à
faire signe de la main. Puis elle fut dans la cour, déposant Dante, le poussant
vers Carlo.
— Il marche, dit-il.
Lisa se mit à rire.
— Il court.
Elle vit que Carlo la regardait s’attardant à sa taille,
elle eut un mouvement de la tête, un défi, une excuse.
— Ce sera une fille, dit-elle, j’en suis sûre.
Carlo se taisait, prenant conscience qu’il était là, chez
les Merani, qu’il avait voulu voir son frère, ou peut-être Dante. Il attendait,
se balançant d’un pied sur l’autre.
— J’ai vendu mes premiers sacs, dit-il. Tiens.
Il prit deux pièces parmi celles que lui avait données
Forzanengo, il les tendit à Lisa.
— Je suis le parrain.
Lisa faisait non de la tête. Mais elle regardait la main
ouverte, avec dans la paume, ces deux pièces.
— Tu as voulu, dit-il.
Elle prit les pièces, les mit dans la poche de son tablier
de tissu noir éclairé par de minuscules fleurs grises ou violettes qui ressemblaient
à la lavande. Dante s’accrochait à elle, des yeux, ronds, sombres, occupant
toute la largeur du visage.
Carlo ne voyait qu’eux. Lisa prit l’enfant et le tendit à
Carlo.
— Pèse comme il est lourd, dit-elle.
Carlo avait ouvert les bras, il sentait contre sa joue qui
lui semblait sèche, épaisse comme de la corne, la peau de Dante, eau fraîche,
désaltérante. Puis hésitant à garder l’enfant, il le tendit à Lisa sans un mot.
Vincente rentra peu après avec la voiture, sautant dès que les chevaux
s’étaient immobilisés, dépliant le marchepied, ouvrant la portière. Carlo
reconnut cette silhouette qui descendait cependant que le Docteur Merani
sortait à son tour, de l’autre côté de la voiture, tendant la main à une jeune
femme.
— Je vous en prie, disait-il.
Helena Karenberg, sans chapeau, les mains nues, refusa
l’aide de Merani, sauta, découvrant Dante, debout près de sa mère.
— Le bel enfant, dit-elle.
Elle s’avança, s’agenouilla presque, passant sa main dans
les cheveux de Dante.
— C’est le vôtre, demanda-t-elle à Lisa.
Lisa fit oui.
— Il est beau, dit Helena.
Frédéric Karenberg s’était immobilisé, souriant ironiquement
à Carlo.
— Ah, voici notre amateur de cigares, dit-il.
Le Docteur Merani aperçut Carlo qu’il n’avait pas encore
remarqué. Helena se retourna. Carlo n’était plus qu’un seul muscle. Ses
mâchoires lui faisaient mal d’être serrées, ses doigts s’écrasaient sur les
paumes.
— Ton frère, n’est-ce pas, demanda le Docteur à
Vincente. Vous le connaissez, ajouta-t-il tourné vers Karenberg.
— Un peu, nous aimons la même marque de cigares.
Karenberg se mit franchement à rire. Helena surprise
regardait tour à tour, son frère d’une gaieté inattendue, perdue depuis des
années, et cet homme jeune au visage osseux et massif, qui tenait les poings
fermés, qui semblait se préparer à bondir et dont elle devinait la tension, la
violence, comme celle de certains chiens quand on s’apprête à leur lancer un
morceau de bois et qu’ils sont comme suspendus, immobiles et pourtant déjà en
mouvement. Elle eut peur de façon instinctive, s’imaginant que cet homme allait
saisir Frédéric à la gorge. Elle s’avança, se plaça à côté de lui, un peu en
avant.
— Viens, dit-elle.
Elle observait Carlo qui paraissait ne pas la voir, les yeux
fixés sur le visage de Karenberg. Le Docteur Merani tentait lui aussi de
comprendre, questionnant.
— Qu’est-ce que cette histoire de cigares ?
Karenberg cessa de rire, une expression de lassitude et de
tristesse voilant ses yeux.
— Rien, dit-il, Monsieur a travaillé chez moi, et je
lui ai offert quelques cigares, et la coïncidence, ici chez vous.
Merani prit Karenberg par le bras.
— Ce Monsieur, Baron, est anarchiste, n’est-ce pas ?
Merani dirigeait sa canne vers Carlo dont Helena remarqua
que les poings s’ouvraient.
— Je ne suis rien, dit Carlo, je vends du sable.
— Tiens, il faudra que ton frère me raconte. Venez ma
chère.
Le Docteur Merani abandonna le bras de Frédéric Karenberg pour
saisir celui d’Helena et il entraîna le frère et la sœur.
Depuis qu’il avait dîné un soir à la villa Karenberg, qu’il
avait découvert l’ovale du visage d’Helena, le gris-bleu de ses yeux,
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