Nice
brise. Il s’assied
là, s’allonge bientôt, les paumes ouvertes sur la terre rugueuse et sèche. Il
faudra en serrer chaque motte comme un fruit qu’on écrase pour en extraire le
jus, et puis retourner la peau, mordre pour ne pas laisser la pulpe, pour
arracher comme il le faisait des citrons quand la faim ou la soif le prenait
alors qu’il frappait la pierre, toute cette chair fibreuse, aigre et qui a la
douleur de l’or.
Les sacs de sable, Carlo les descendit l’un après l’autre
sur ses épaules par le sentier muletier. L’un d’eux creva et il ramassa le
sable dans ses mains jointes, poignée après poignée, comme s’il s’était agi
d’une eau vitale. Il avait acheté un charreton et il s’y attela, dans une fin
de matinée balayée par le vent d’est, les crêtes au loin bordées d’un liséré
blanc, des bâtiments de l’ancienne abbaye de Saint-Pons, se détachant sur la
colline comme isolés dans une cloche de lumière. Toute la vallée du Paillon
semblait ainsi miroiter, chaque galet du lit maintenant sec, brisant en gerbe
un rayon solaire, répercuté plus loin, plus haut par une roche métallique, une
tuile vernissée.
Le vent tomba d’un seul coup et avec lui la chaleur, le
silence. Carlo entrait en ville, l’épaule droite sciée par la courroie du
charreton, les doigts crispés d’avoir tenu longtemps les deux montants de bois.
Sur les pavés le charreton se mit à osciller et Carlo dut ralentir, l’effort
devenant plus grand parce que la route cessait d’être en pente. À Saint-Roch
elle remontait même vers le mont Gros. Carlo arriva essoufflé devant les
entrepôts Forzanengo, des hangars couverts de tuiles où l’entrepreneur rangeait
les voitures, les outils, les madriers servant aux échafaudages. Carlo, tirant
le charreton, entra dans la cour, s’immobilisant au cri du gardien qui
s’avançait, hostile.
— Qu’est-ce que tu veux ?
Carlo montra les sacs sans lâcher le charreton.
— J’ai du sable.
— On te l’a commandé ? C’est qui toi ?
— Revelli, c’est à moi.
— On n’achète pas, dit le gardien. On nous livre par
tombereau, tous les matins, sur les chantiers.
— Je veux voir le patron, dit Revelli.
Le gardien eut un geste de la main vers son front.
— Hé, fit-il.
— Je veux voir le patron, répéta Revelli.
Il ne haussait pas la voix mais il enlevait la courroie,
s’adossait au charreton pour l’équilibrer avant de poser les montants sur le
sol. Les sacs de sable restèrent en équilibre.
— Je le connais, dit Revelli.
Le gardien hésita.
— Si, commença-t-il.
— Dis que c’est Revelli, celui du chantier du Paillon,
depêche-toi.
Carlo s’avançait vers lui lentement. Il savait que
Forzanengo passait chaque jour à ses entrepôts avant de visiter les chantiers.
Le gardien s’éloigna, revint.
— Il t’attend, dit-il.
Carlo s’attela au charreton, le gardien tenta de protester
mais il s’interrompit, haussa les épaules et rentra dans la cabane où il s’abritait
près du portail.
Carlo Revelli vendit son sable un bon prix. Forzanengo
l’avait écouté sans répondre mais il avait sorti des pièces qu’il avait
poussées vers Carlo.
— Tu les auras tous contre toi, avait-il dit. Tous. Ils
t’aimaient pas. Maintenant…
Il ferma son poing.
— Mais je t’apprends rien, continua-t-il. Amène ton
sable ici, quand tu veux, moi je te l’achèterai, parce que moi, je les emmerde
tous, je fais ce que je veux, et ça fait du bien, crois-moi.
Le charreton vide sautait sur les pavés et Carlo, le bruit
des planches heurtant les montant de fer, le roulement des jantes cerclées
d’acier sur la pierre, se souvint de ce trajet, qu’il faisait, enfant, quand
son père l’asseyait dans un charreton semblable à celui-ci : « Tiens-toi,
disait-il, tiens-toi là » et il prenait la main de Carlo la posant sur les
montants, il dépliait les doigts, les refermait puis il s’attelait, se
retournant souvent, et Carlo criait, effroi, plaisir. C’était avant que le père
ne s’assombrisse, avant Vincente, quand ils habitaient encore la ferme, avant
Mondovi. Carlo se retourna comme si un fils à lui était assis sur le charreton.
Peu après il entrait dans la cour de la maison Merani, il
poussait le charreton dans le hangar, il cherchait Vincente, s’avançait vers
les écuries, appelait. Lisa ouvrait la fenêtre. Prés d’elle, accrochant ses
mains au cadre, Carlo vit des cheveux noirs
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