Nice
peut pas dire. C’est
pas les Arabes, ceux-là je les ai vus…
Ritzen n’écouta plus. Les hommes parlaient trop, toujours. Ils
ressemblaient à ces boîtes à musique que les Ritzen avaient réussi à emporter
avec eux quand ils avaient quitté l’Alsace. Un déclic et la musique commence,
toujours la même, sans surprise. Ritzen pensa à Sauvan. Lui savait se taire. Et
tout à coup une remarque s’imposa au Commissaire : pourquoi Sauvan le
silencieux avait-il dit que Revelli travaillait chez Forzanengo ? Il eut
dû simplement hocher la tête, ou murmurer « je ne sais rien monsieur le
Commissaire, cherchez, vous trouverez bien Carlo Revelli ». Surprise, il
avait parlé, donc il taisait autre chose.
À Drap, la mairie renseigna Ritzen. À cinq kilomètres plus à
l’est, il fallait prendre un chemin muletier vers le hameau de Darbella. Le
Piémontais était là. Il avait payé sans discuter, du bel argent. Et il vivait
sur son terrain, une ancienne carrière qu’il voulait remettre en exploitation.
— Il faudra qu’il travaille jour et nuit, disait le
maire. Seul il ne réussira pas, ou alors, il vivra comme une bête. Pas comme un
humain.
Le brigadier alors qu’ils se dirigeaient vers le chemin
muletier reprenait ses commentaires que Ritzen n’écoutait plus.
— Les Piémontais, disait-il, ils ont le travail dans la
peau, je les connais, ils ont acheté pour deux sous de la terre au bord du
Paillon, ils la retournent, ils vont jusqu’à l’os, et ils font pousser sur la
pierre, ah, ils ont faim alors ils ne dorment pas.
Après une demi-heure de marche on accédait à un vallon qui s’élargissait
et dont l’un des flancs était creusé comme une motte de beurre entamée. Des
blocs dispersés sur le sol, partiellement fragmentés donnaient une impression
de chaos. Une cabane de planches était adossée à la paroi. Des coups sourds
résonnant derrière des blocs plus massifs provenaient du bord opposé de
l’excavation. Ritzen eut la tentation de demander au gendarme de dégainer son
arme puis il se reprit. Ils s’approchèrent et découvrirent courbé, Carlo
Revelli, un lourd marteau tenu à deux mains, qu’il abattait de toute sa force
sur la pierre friable. Il obtenait ainsi des éclats qu’il brisait à leur tour,
tamisant, accumulant le sable et le portant, pelle après pelle sur un
charreton. Ritzen demeurait immobile, regardant Carlo, ces muscles des épaules
et du bras se contractant sous la peau luisante de poussière blanche mêlée à la
sueur. À un moment donné Carlo levant la tête les aperçut. Ses cheveux étaient
collés sur le front, la moustache elle aussi blanchie. Il posa son marteau, se
redressa, dépassant d’une tête Ritzen et le brigadier.
— Revelli, on ne te voit plus, dit Ritzen.
— Pourquoi on devrait me voir ?
— Tu sais que j’aime bavarder avec les gens comme toi,
de temps en temps, continuait Ritzen, vous avez toujours de bonnes idées vous
autres.
Ritzen s’assit sur un bloc. Carlo reprit son marteau et recommença
à frapper, des coups plus lents mais plus forts.
— Tu es devenu riche ? demanda Ritzen.
Carlo s’arrêta.
— Ça t’a coûté cher tout ça.
Ritzen montra la carrière, la cabane, les oliviers et les
figuiers qui entouraient le flanc ouvert et couvraient les planches qui descendaient
jusqu’à la rivière.
— J’ai travaillé et personne n’en voulait.
— Quand même, dit Ritzen, on t’en a pas fait cadeau.
— J’ai travaillé tout l’hiver chez Forzanengo.
Forzanengo dissimulait autre chose, peut-être un vol, un
crime comme celui que Ravachol avait commis.
— Ne me fais pas croire ça à moi, dit Ritzen.
Carlo se remit à frapper sans hâte, calmement. Il s’était
assis les jambes écartées, la pierre entre ses cuisses, et Ritzen était pris
par le rythme, le martèlement régulier, le marteau paraissant rebondir sans
effort sur la pierre, le bras comme un levier métallique, indépendant de cet
homme assis qui de temps à autre le regardait, le visage impassible couvert de
sueur. Ritzen sentit le découragement le gagner : ce Piémontais lui
échappait.
Le Commissaire se leva, il était à nouveau le lycéen frêle
que l’on bousculait dans la cour d’une poussée de la paume sur la poitrine, « écarte-toi ».
Il avait beau se précipiter poings dressés, les grands d’une bourrade
l’envoyaient contre le mur, lui arrachant son cartable.
— Tu vas venir avec moi, dit
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