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Nice

Nice

Titel: Nice Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Elle avait comme
lui, cette générosité sans calcul, « prends, prends » me disait-elle.
Ce refus de la possession pour soi, cette indifférence à la possession, est-ce
cela qui fait les aristocrates ? Sauvan quand je lui ai parlé de Carlo
Revelli, a eu cette phrase qui était une condamnation : « il veut
avoir pour lui ». Il refusait de le juger, lui accordait des excuses mais
le ton était sans appel. Il a recommencé son réquisitoire contre la
société-moloch et m’a parlé une nouvelle fois du socialisme comme du grand
remède. Et s’il y a de nouveaux automates dans cette société nouvelle ?
S’il n’existe que deux catégories d’hommes, partout, les hommes-machines que le
ressort social met en mouvement et les autres que je nommerai aristocrates,
faute de mieux ? Il faut peut-être faire le pari. Ce soir en tout cas je
suis partisan de la révolution sociale pour employer le langage de Sauvan.
L’exécution d’Émile Henry, ce fanatique qui a cru qu’en lançant une bombe dans
un café, on réveille l’ardeur révolutionnaire des foules, est d’une telle bêtise !
Je ne croyais pas la République aussi barbare que notre tsarisme. J’ai noté
cette phrase remarquable de Maurice Barrés « soixante kilos, tout un
système social tombait, en lui ébréchant le menton, sur le cou de cet
adolescent qui, dit-on, mourut vierge. Dans une crise où il faudrait de hautes
intelligences et des hommes de cœur le politicien et le bourgeois n’apportent
que des expédients ». Jugement d’un aristocrate. »
     
    Frédéric Karenberg ferma le cahier et se massa les paupières
avec le bout de ses doigts. Il sortit dans le parc. Écrivait-il ce qui lui
importait vraiment ? Chaque fois qu’il prenait son journal il avait le
sentiment qu’il allait dire l’essentiel, noter pour plus tard ce qui faisait la
trame de ses pensées. Mais la plume posée il était sûr d’être resté à
l’extérieur, sur le bord de ce trou sombre, trop profond pour qu’il ose s’y
pencher. Là, marchant dans le parc alors que les nuages en se déchirant
laissaient la lueur figée de la lune envahir le ciel, bleuir les arbres, il
s’interrogeait. N’était-ce pas cette remarque de Barrés sur la virginité qui
l’avait d’abord ému, bouleversé bien plus que l’inutile cruauté d’une justice
stupide ?
    Pourquoi n’avait-il pas osé écrire à Peggy Wood, la fille du
consul de Grande-Bretagne rencontrée à la fête de la comtesse d’Aspremont ?
Il ajoutait ligne après ligne, dissertait de Sauvan, du socialisme, recopiait
l’article de Barrés. Ridicule et timide. Il n’avait même pas osé prendre la
main de Peggy Wood alors qu’ils se promenaient dans les allées, loin des
buffets, et que parvenait à peine la voix du chanteur.
    — L’opéra, disait Peggy, je découvre, c’est émouvant…
    Ridicule et timide. Il ne l’avait pas invitée. Il
dissimulait son souvenir, cette robe claire – Catherine aimait le blanc,
seulement le blanc – sous des mots.
    « Quand je ne serai plus là, répétait la baronne Karenberg,
qui te poussera à agir Frédéric ? Heureusement je te laisse des biens,
mais tu m’inquiètes. Tu as la pusillanimité de ton père, ce goût morbide du
dilettantisme. »
    Karenberg s’assit au bord du bassin. Les bustes de César
qu’il avait fait placer dans l’allée centrale sur de hauts socles de pierre
grise semblaient de bronze, la lumière glissant à la surface de la pierre. Il
faisait doux, le bruit irrégulier de l’eau, jet de la fontaine que la brise
soulevait et rabattait venait par intermittence heurter le silence. Les
palmiers formaient la colonnade d’un temple aux limites du désert.
    Karenberg faisait le tour des ombres, des bruits,
décomposant la nuit, créant un monde imaginaire. Tout à coup il y eut un cri
venant de la maison, une porte qui s’ouvrait, la voix d’Helena qui appelait.
Karenberg courut vers la terrasse. Helena était assise dans la bibliothèque les
mains croisées sur la poitrine, les cheveux dénoués, il se pencha vers elle, la
prenant aux épaules.
    — Petite sœur, dit-il.
    — Ce cauchemar, dit Helena.
    Elle lui saisit les poignets.
    — Tu ne voyais pas son visage, dans la cour, chez le
Docteur Merani. Il était prêt à te saisir à la gorge, je le sentais, et cette
nuit, ce cauchemar.
    — Raconte-moi, dit Frédéric.
    Il s’assit par terre, s’appuyant contre elle, tenant ses
genoux. Souvent dans les

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