No Angel
de ma respiration et de mon cœur. Il y eut ensuite un bruit semblable à celui d’un petit servomoteur. Moins de dix secondes plus tard, je planais et j’étais en plein bonheur. Je perdis connaissance.
Je me réveillai, m’évanouis, me réveillai. Les infirmières changeaient mon bassin et me lavaient avec une éponge. Je retrouvai un peu de force, me levai et marchai en traînant derrière moi mon matériel – perfusions d’antibiotique et de morphine, tube de ma poitrine débranché de sa pompe. Quelques jours plus tard, je parvins à marcher d’un bout à l’autre du couloir. Après une semaine, je pouvais faire le tour du service. Un tel affaiblissement était une expérience nouvelle et… déprimante. On se sent vraiment humilié quand on est contraint de reconnaître que, au bout du compte, on n’est qu’un corps. On s’intéresse principalement à l’esprit, mais il loge, inévitablement, dans cette enveloppe fragile. Le corps disparaît et, bon, qui sait ? C’est pourquoi je crois en Dieu.
Je priais. J’ai toujours été un chrétien imparfait. Je priais pour ma famille et pour moi. Dans mes prières, je demandais de pouvoir retourner sur le terrain, de reprendre le travail.
Avec le temps, les périodes de veille et de sommeil s’équilibrèrent. Je me liai d’amitié avec le docteur Richard Carmona, le chirurgien qui m’avait opéré. Il n’avait pas terminé ses études au lycée, s’était engagé dans l’armée, était entré dans les forces spéciales, était devenu un ancien combattant décoré du Viêtnam, puis il était revenu à la vie civile, où il avait commencé une formation puis une carrière de médecin. Il dirigeait le service de traumatologie de l’hôpital de Tucson et faisait des heures supplémentaires au sein de la brigade d’intervention de la police du comté de Pima. Moins de dix jours après mon entrée à l’hôpital, il fut blessé par balle au cours d’une arrestation. Il se rétablit et devint finalement le dix-septième ministre de la Santé des États-Unis. L’amitié du docteur Carmona fut une des meilleures conséquences de ma blessure.
Des gens vinrent me voir ; ils restaient trop longtemps ; ma mère pleura. Mon père, pâle et en état de choc, dit qu’il était fier de moi ; je lui fis pourtant remarquer que j’avais été stupide. On finit par convenir que j’avais eu de la chance. D’autres personnes passèrent : potes de l’université, flics, ma première femme, que j’avais épousée aussitôt après avoir obtenu mon diplôme. La pompe reliée à ma poitrine fonctionnait sans interruption. Elle évacuait les caillots et le sang, qu’elle déversait dans un seau blanc posé près de mon lit. Quand les gens restaient trop longtemps, je bougeais jusqu’à ce que l’aspiration tombe sur quelque chose qu’elle déversait dans le récipient comme un petit avortement. En général, ils se barraient.
Je finis par m’ennuyer à mort. On ne peut regarder la télé que jusqu’à un certain point et les fleurs meurent quand on ne les arrose pas. Je ne faisais pas ce qu’il fallait. Les ballons se dégonflaient. C’était comme si ces choses qu’on avait apportées pour que leurs maigres forces contribuent au rétablissement du malade mouraient elles-mêmes peu à peu. Du coup, les roses en train de faner et les fuites d’hélium me ramenaient à la vie. Merde, la morphine donne de drôles d’idées. J’y avais vraiment pris goût. Bien entendu, la douleur était atroce, surtout la première semaine, mais, ensuite, ce fut un plaisir plus qu’une nécessité. Je m’administrais moi-même les shoots de morphine ; cependant, une minuterie en limitait la fréquence… je ne pouvais m’en injecter que toutes les trois heures. Je bloquai donc l’interrupteur avec du sparadrap pris sur ma perfusion et profitai ainsi d’un shoot de stupéfiant à chaque fois que la minuterie arrivait au terme de son cycle, que je fusse éveillé ou endormi. J’ai fait des rêves fous. C’était le paradis.
Le directeur de l’ATF me téléphona. Il me qualifia de petit prodige. Je n’appréciai pas « petit » : j’avais vingt-six ans. Il dit qu’on avait parlé en bien de moi et que, si je jouais convenablement mes cartes, je pourrais un jour occuper son fauteuil. Il ajouta qu’il fallait que je me rétablisse rapidement pour reprendre le travail, que l’ATF avait besoin de types comme moi. Je le remerciai et raccrochai.
Je me
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