No Angel

les gangs de motards, de la Géorgie au Colorado, avec de nombreux équipiers différents, dont un de mes mentors au sein de l’ATF : Vincent Cefalu. En 2001, je croyais avoir tout vu.
    Pourtant, après presque quinze ans de carrière, j’avais encore quelque chose à prouver. Et je n’avais pas tout vu.
     
    Pendant l’été de cette année-là, un jeune agent ambitieux, Greg « Sugarbear {4}  » Cowan, proposa de monter une opération à Bullhead City, Arizona.
    D’après Sugarbear, Bullhead était mûre, et y obtenir des preuves reviendrait à tirer sur un éléphant dans un couloir. Selon lui, nous pourrions saisir beaucoup d’armes. J’acceptai d’aller jeter un coup d’œil. Un matin je me levai, pris mon petit déjeuner, ébouriffai les cheveux de mon fils, Jack, embrassai ma fille, Dale, m’emparai des cookies que ma femme, Gwen, avait préparés et pris la route.
    Bullhead City se trouve près de la pointe sud du Nevada, à dix heures de Tucson, où je vivais. C’est une ville délabrée peuplée de mécaniciens au chômage partiel à la colle avec des « danseuses » en activité ou à la retraite. C’est une capitale de la métamphétamine, grouillante de types qui ne sont pas allés au bout de leurs années de lycée, et située dans une vallée brune et marron évoquant Mars plutôt que la Terre. De l’autre côté des eaux brunâtres du Colorado se dresse Laughlin, Nevada, sœur jumelle poussiéreuse de Bullhead, avec son strip clinquant et ses succursales de casinos : Flamingo, Golden Nugget, Harrah’s.
    Je retrouvai Sugarbear au Black Bear Diner, sur la Route 95. On s’installa dans un box proche de la vitrine, dans l’air réfrigéré. Il faisait quarante degrés dehors, et le désert grillait. Il but du café et grignota un toast pendant que je dévorais un double cheeseburger au bacon.
    Il me parla d’une armurerie appelée Mohave Firearms. Le patron, Robert Abraham, fournissait une bande d’habitués qui étaient tous passionnés d’armes à feu. Presque toutes les affaires se traitaient au noir et un nombre significatif de pistolets mitrailleurs modifiés {5} entraient dans la boutique et en sortaient. Un nommé Scott Varvil, ancien tireur d’élite au sein des marines et as de la mécanique moto, bricolait les armes dans son garage.
    Après déjeuner, on fit un tour dans la ville. Confortablement installé dans notre voiture, grâce à l’air conditionné, je regardai défiler les rues et les quartiers poussiéreux. Sugarbear suggéra que je me fasse passer pour un motard. Je répondis que j’étais d’accord, malgré la chaleur et même si je n’étais pas un spécialiste. Il ajouta que je ne risquerais rien, que j’avais la tête de l’emploi et que les motards étaient respectés à Bullhead. Je répondis que je n’en doutais pas. D’après lui tous ces types, surtout Abraham et Varvil, étaient des groupies des Hells Angels. Les Angels, selon lui, étaient présents mais pas partout. Quoi qu’il en soit, ça ne m’intéressait pas vraiment. J’acceptai cependant d’intégrer l’équipe.
    L’opération débuta fin août. Cowan continua de voir son informateur tandis que je me préparais à Tucson. Je fis réviser ma moto et obtins une voiture de l’ATF, une Mercury Cougar noire. Je m’entraînais au tir au stand du siège local. J’aidais Gwen à préparer la nouvelle année scolaire des enfants, les accompagnais au centre commercial. Jack, bon sportif, eut des crampons, des chaussettes de sport et un cartable. Avec l’argent de poche qu’il avait économisé, il acheta des cartes de football. Il cherchait les premières années de Drew Brees. Il trouva trois clichés. J’offris une guitare d’occasion à Dale et lui promis qu’elle en aurait une neuve plus tard, si elle travaillait bien.
    Le 11 septembre, en début de matinée, j’étais chez moi et me préparais à partir quand Chris Bayless téléphona. Il me dit d’allumer la télé.
    Le déplacement à Bullhead était annulé. Gwen, les enfants et moi, on resta devant le poste de télévision, fascinés, comme tout le monde. Jack, qui avait sept ans à l’époque, est un garçon qui aime s’amuser et qui sourit toujours. Dale, qui avait onze ans, est un peu renfermée, adorablement éprise de justice et parfois révoltée. Gwen et moi nous percevions leur peur et leur trouble, et sentions aussi en nous trouble et confusion. On regarda interminablement les explosions grises. Je dis à