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Noir Tango

Noir Tango

Titel: Noir Tango Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Régine Deforges
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installé dans l’angle
du « Plaza ».
    — Il y a un message pour vous, mademoiselle,
dit le concierge en lui tendant sa clef.
    Le taxi déposa Léa
à l’angle de Suarez y Necochea dans le faubourg de la Boca. Quelle idée de lui
donner rendez-vous dans un quartier pareil ! Elle regarda autour d’elle, essayant
de s’orienter. Pas facile, dans cette ville où les rues se coupaient à angle
droit, de s’y retrouver ; autant elle était à l’aise dans celles, tortueuses,
de Paris ou de Bordeaux, autant à Buenos Aires elle avait l’impression de se
retrouver toujours au même endroit. Là, c’était un peu différent : pas de
boutiques, un quartier misérable aux maisons basses, aux trottoirs défoncés, encombrés
de gravats et de détritus, quelques bars ou cafés fermés. À cette heure du
début de l’après-midi, tout semblait dormir dans la chaleur de l’été. Un chien
famélique vint renifler ses pieds et s’enfuit devant son geste menaçant. Elle
buta contre les racines d’un gros arbre qui déformaient la chaussée et jura
entre ses dents. Malgré son chapeau de paille, la lumière lui blessait les yeux ;
la sueur coulait le long de son dos et entre ses seins. Il n’y avait donc
personne dans ce maudit quartier ? D’une fenêtre basse, au ras du sol, munie
de barreaux, montait une chanson de Carlos Gardel. Léa se pencha. Malgré la
pénombre du lieu, elle entrevit des tables et des chaises. Sur les tables, des
verres et des assiettes sales, dans le fond un comptoir au-dessus duquel
brillait une rangée de bouteilles. Près de la fenêtre un escalier étroit et
raide de cinq marches descendait. Elle le prit en se tenant aux murs noirs de
crasse. Pendant quelques instants, elle ne vit rien. Après la chaleur du dehors,
l’air de la salle brassé par un grand ventilateur lui sembla délicieux. Hormis
la voix de Carlos Gardel et le couinement du ventilateur, il n’y avait aucun
bruit dans le café. Peu à peu ses yeux s’habituèrent au demi-jour. La pièce
était vide, ni clients ni patron. Comment disait-on en espagnol : « Il
y a quelqu’un ?… » Pour signaler sa présence, elle toussa, heurta les
chaises… à la radio la voix du Toulousain s’était tue, remplacée par les
glapissements d’une présentatrice. L’image de Carmen Ortega debout devant le
micro surgit à son esprit… Sur les murs d’un blanc sale, des portraits de
vedettes de cinéma dans des cadres d’un doré éteint : l’un d’eux lui
rappela quelqu’un… sans aucun doute, il s’agissait d’Eva Perón… brune sur la
photo et le visage plus arrondi, quelques mots manuscrits d’une grande écriture,
signés « Eva. »
    Léa remonta les marches, la rue était
toujours déserte et blanche de chaleur ; elle redescendit et se laissa
tomber sur une chaise. À tout prendre, on était mieux ici que dehors, quelqu’un
finirait bien par arriver. Elle avait faim. Elle se leva et remarqua derrière
le comptoir un rideau rougeâtre qui dissimulait à moitié une ouverture, sans
doute la cuisine. Elle écarta le rideau, une odeur graisseuse lui chatouillait
désagréablement les narines. Pas d’autre lumière que celle tombant d’un
soupirail sale, il faisait très sombre. Marchant à tâtons elle s’avança, oppressée
par le silence. Son pied heurta quelque chose de mou, elle retint un cri, saisie
de terreur. Tremblant, elle se baissa. Sa main rencontra un corps étendu ;
sous ses doigts un cœur battait. Agrippant le corps par les épaules, elle le
tira dans la salle.
    — François !
    Ses yeux étaient dos, du sang poissait ses
cheveux. Sur le comptoir elle prit un pichet d’eau. Elle en versa doucement sur
son front… il bougea la tête de droite et de gauche en gémissant puis ouvrit
les yeux.
    — François !
    Péniblement, il se redressa.
    — Donne-moi quelque chose à boire.
    Toutes ces bouteilles ! laquelle
prendre ?… Au hasard elle en déboucha une, sentit le liquide : cela
ferait l’affaire. Au goulot, il but une rasade, s’étrangla, toussa, cracha, pesta.
    — Mais ce n’est pas de l’alcool, c’est
du vitriol ! s’écria-t-il avant d’avaler une nouvelle gorgée.
    Sans lâcher la bouteille, il se mit debout, la
chemise salie de sang et d’alcool.
    — Il y a longtemps que tu es là ? demanda-t-il.
    — Je ne sais pas, vingt minutes, peut-être.
Que t’est-il arrivé ?
    — Je t’avais donné rendez-vous dans ce
quartier car je pensais l’endroit plus

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