Noir Tango
n’est pas ce que j’ai voulu dire. Vous
pensez sans doute à votre femme ?… J’admire beaucoup le courage de madame
Tavernier et je suis très sensible à la confiance que vous m’avez témoigné tous
les deux en me racontant ce triste passé… Mademoiselle Delmas est-elle au
courant ?
— Oui. Mais dans notre entourage, elle
est la seule.
— Je m’en souviendrai. Allons rejoindre
ces dames.
22.
Léa n’était pas depuis huit jours à Mar del
Plata chez Victoria Ocampo qu’elle ne savait déjà plus comment répondre aux
multiples invitations de la jeunesse dorée de l’endroit. Il n’était question
que de promenades en mer, de pique-niques dans les estancias environnantes, d’excursions à vélo, de parties de tennis ou de golf, de soirées
dansantes ou de thés chez les uns et les autres. On s’arrachait la jeune
Française, invitée d’une des personnalités les plus en vue de Mar del Plata.
À Buenos Aires, Noël et le jour de l’an s’étaient
passés en fête et en bals. Léa et Sarah avaient été les reines de la colonie
française et embelli les soirées de l’ambassade de France. Aucune suite n’avait
été donnée à l’agression dont avait été victime Tavernier, on ne parlait plus
de nazis, Samuel et Daniel Zederman ainsi que Uriben Zohar et Amos Dayan
étaient à Buenos Aires et se comportaient comme de paisibles touristes. Carmen
Ortega avait entraîné Sarah et Léa chez un professeur de tango. Les figures
compliquées de la danse, la sentada, el ocho, la corrida , n’avaient pas de
secret pour Carmen. Sarah se révéla très douée ; quant à Léa, elle
mélangeait les pas.
— Plus souple, soyez plus souple !…
Laissez-vous guider, disait le professeur, ancien célèbre danseur de tango, Arturo
Sabatini, aux cheveux gominés et au costume trop ajusté sur un ventre mal
contenu par un corset.
La chambre qu’occupait Léa à la villa Victoria
était, comme toutes les chambres de la maison, ornée d’un papier fleuri avec
des grands oiseaux, de rideaux assortis, et d’un mobilier de bois peint. Dans
la moiteur de la sieste, ces motifs végétaux conféraient à la pièce un aspect
de serre ou de jungle, qu’accentuait le tapis aux grosses roses. La belle
demeure en bois, dont les balcons et les vérandas donnaient sur un parc ombragé,
n’était pas sans lui évoquer Montillac. Jusqu’à Angelica et Victoria Ocampo qui
lui rappelaient ses tantes Albertine et Lisa de Montpleynet. La maîtresse des
lieux passait ses matinées à travailler dans son bureau hexagonal, laissant à
sa sœur et à sa fidèle Fanny le soin de s’occuper des charges quotidiennes. Le
soir, après le dîner, elle se promenait avec Léa et quelques amis dans son
jardin, quelquefois elle s’asseyait sur un banc et disait, fort bien, des
poèmes. Léa aimait ces moments calmes et mélancoliques. Cependant, elle
commençait à s’ennuyer, François lui manquait et le désir qu’elle avait de lui
la tenait éveillée de longues heures chaque nuit. Ses caresses solitaires ne
faisaient qu’exaspérer son désir. La fougueuse étreinte qui les avaient unis
dans sa chambre du « Plaza » après la scène de l’ambassade de
France lui semblait remonter au déluge. Les danses à la mode, comme le merengue ou la samba, les bains de mer à demi nue, le soleil, les hommes entreprenants
la mettaient dans des états qui la faisaient se traiter de « chienne en
chaleur ». Si François voulait qu’elle reste sage, il ferait bien de venir
la chercher.
En short et
sandales blanches, foulard noué sur la tête, Léa pédalait le long de l’avenue
surplombant la mer. Elle rejoignait au club de golf Jaime Ortiz et sa sœur
Guillermina. Les deux jeunes gens, un peu plus jeunes que Léa, étaient les boute-en-train
d’une bande de garçons et de filles qui ne pensaient qu’à s’amuser. Ils
appartenaient tous aux meilleures familles d’Argentine et dépensaient
allègrement l’argent de leurs parents.
Guillermina Ortiz et son amie Mercedes Ramos
vinrent en courant au devant de Léa.
— Vous nous avez fait des cachotteries,
ma chère, il y a là un homme fort séduisant qui vous attend… Ne prenez pas cet
air étonné, c’est un Français comme vous.
François… ce ne pouvait être que lui pour
troubler ainsi ces gamines…
Elle se laissa conduire sur la terrasse, où
buvait et bavardait une foule élégante, jusqu’à une table où se tenait François
Tavernier entouré de trois
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