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Noir Tango

Noir Tango

Titel: Noir Tango Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Régine Deforges
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Laure ?
    — Nous la vengerons, mais cela ne lui
rendra pas la vie.
    — Je le sais bien, mais je ne peux pas
vivre avec cette idée que ses assassins soient en liberté et vivent insouciants.
    — Ils ne le seront pas longtemps.
    — Qu’allez-vous faire ?
    — Encore une fois, ne t’occupe pas de
tout ça. Moins tu en sauras, mieux cela vaudra.
    Doucement, il la prit dans ses bras et l’attira
à lui. Elle se laissa faire sans résistance, rassurée d’être contre sa poitrine.
Pourquoi tout était-il si compliqué ? C’était si simple de se laisser
aimer sans penser au lendemain. Elle releva la tête et tendit ses lèvres. Ils s’embrassèrent
avec gourmandise, affamés. Un bourdonnement de rires et de voix les sépara. Sarah
et Victoria venaient vers eux, suivies de Borges et de Bioy Casares. Ils se
levèrent à leur approche.
    — Léa, je me demandais où vous étiez
passée, dit Victoria d’un ton de reproche.
    — Ce parc est si beau et ce fleuve si
grand. J’étais venue les admirer.
    — Oui, cet endroit est beau. Pour
combien de temps encore ? Après moi, que deviendra cette maison ?
    Sarah s’approcha et la prit par le bras.
    — Chère madame, vous avez le temps d’y
penser.
    Là-bas, sur le Rio de la Plata, le voilier s’éloigna.
Léa fut la seule à le remarquer et en éprouva du malaise.
    Ils remontèrent lentement vers la maison. François
prit le bras de Léa.
    — J’ai envie de toi. Pourquoi ne
viendrais-tu pas à Buenos Aires demain ? Tu as toujours ta chambre au « Plaza » ?
    — Oui.
    — Je vais demander à Sarah de t’inviter,
cela surprendra moins que si c’est moi.
    — Décidément, tu penses à tout, dit-elle
d’un ton acerbe. D’accord, je viendrai demain.
    La plupart des invités prirent congé. Il ne
resta que Silvina Ocampo, Bioy Casares et Borges.
    Pendant le dîner, dans
l’immense salle à manger aux lourdes chaises, Léa faisait un effort pour suivre
la conversation de Borges qui passait d’un sujet à l’autre avec virtuosité, sans
se soucier de son interlocutrice.
    — Aimez-vous les ponts ?… Il
faudra que je vous emmène voir le pont Alsina, c’est un des endroits de Buenos
Aires que je préfère.
    — Jorge, vous n’allez pas emmener cette
petite dans cet horrible quartier, sale et lugubre, dit Victoria.
    — Votre sœur ne pense pas comme vous. Souvent,
Silvina et moi, nous marchons sans but dans les rues de notre ville cherchant à
nous égarer. Hélas ! sans succès. « J’aime la laideur de ma ville
natale presque autant que sa beauté. C’est très important de marcher dans une
ville, dans sa banlieue, d’écouter la nuit. Je me souviens d’une longue
promenade dans la banlieue de Buenos Aires avant la guerre avec Drieu la
Rochelle, il était un peu tard, nous avions marché et nous étions arrivés tout
près de la province. On sentait la plaine qui grandissait, les maisons
devenaient de plus en plus rares, de plus en plus basses. Alors Drieu a trouvé
une façon précise d’exprimer cela. Ce que nous, poètes argentins, cherchions
depuis des années, il l’a trouvé tout de suite. Nous regardions, il était une
heure du matin. Il m’a dit : “Vertige horizontal.” C’était exactement cela.
Il fallait être français pour exprimer si clairement ce que nous, Argentins, ressentons.
La France est le pays littéraire par excellence. Je crois que c’est le seul
pays où les gens s’intéressent à des questions littéraires. Ce n’est pas une
question de cénacles ou de divergence d’écoles. Cela fait peut-être partie de l’esprit
historique des Français, cette façon de voir toutes choses en fonction de l’histoire,
ce qui n’arrive pas ailleurs, non ? »
    Léa aurait bien été incapable de dire si
cela arrivait ailleurs ou pas. Maintenant Borges parlait de Flaubert, de
Schopen-hauer, de Stevenson, de Kipling, d’Oscar Wilde… De Flaubert elle n’avait
lu que Madame Bovary et de Kipling, Le Livre de la jungle  ! … pas assez pour soutenir une conversation avec ces gens qui jonglaient avec le
français, l’espagnol, l’anglais et l’italien. Léa se sentait sotte et ignorante…
et elle n’aimait pas cela. Peu à peu, elle s’évada de l’assemblée, revoyant les
dîners à Montillac, quand son père et son oncle Adrien parlaient des livres qu’ils
aimaient. La petite fille alors les écoutait, heureuse quand le nom d’un
écrivain lui rappelait quelque chose – ne fût-ce que la

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