Noir Tango
lui
semblait qu’on la déchirait.
— Votre ami
est parti ?… Quel dommage qu’un homme aussi séduisant soit marié, dit
Guillermina.
— Les Français sont-ils tous comme
celui-là ? demanda Mercedes.
Léa fit un effort pour répondre en riant :
— Tous. Vous devriez demander à vos
parents de vous envoyer en France.
— Vous êtes bien gaies, les filles… On
peut savoir ce qui vous amuse, dit Jaime Ortiz qui venait d’arriver avec deux
autres jeunes gens.
— Nous parlions des hommes français.
— Ma petite Guillermina, il n’y a pas
que les hommes français, les Argentins sont les meilleurs du monde, tu devrais
le savoir, dit Francisco Martinelli en l’enlaçant.
— Tu es fou, pas devant mon frère, fit-elle
en se dégageant. Attention, voilà ma mère.
Une femme vêtue d’une robe de plage, le
visage bronzé et maquillé, abrité par un grand chapeau, s’approcha. Les garçons
se levèrent et s’inclinèrent.
— Bonjour à tous. Mon mari organise une
grande soirée demain àl ’estancia, il y aura un orchestre
brésilien…
— Hourra !… Magnifique !… Quelle
bonne idée !…
— Bien entendu, Léa, vous êtes des
nôtres. Mon mari a tellement entendu parler de vous par les enfants qu’il
désire fort vous connaître… Pas d’objection, je suis passé à la villa Victoria
et madame Ocampo m’a donné son accord.
« Pourquoi pas ? pensa Léa. Cela
me distraira. »
— Vous verrez, vous ne serez pas déçue,
l’ estancia Ortiz est une des plus belles de la région, dit Jaime. Quand
partons-nous, maman ?
— Demain matin de bonne heure. Nous
resterons trois jours. Mon mari y est déjà avec des amis. À demain, Léa, Jaime
passera vous prendre à six heures.
— Merci, madame, à demain.
La grosse voiture
cahotait sur la route dans un nuage de poussière. À perte de vue ce n’étaient
que champs avec de temps en temps un bouquet d’arbres annonçant une estancia. Des troupeaux de bovins animaient parfois le morne paysage. La route de
terre filait droite vers l’horizon, on salua un groupe de cavaliers.
— Nous approchons, dit Jaime, ce sont
les gauchos de mon père qui viennent à notre rencontre.
Léa s’étonna de leur tenue et des bottes à
bouts ouverts que portaient certains d’entre eux ; des larges ceintures
cloutées de pièces de monnaie, du pantalon bouffant sur lequel venait se
rajouter, pour quelques-uns, une sorte de jupe.
— On appelle cela le chiripa. Devant
eux, sur le cheval, cette couverture pliée c’est le poncho.
— Et ces boules qui pendent ?
— Des boleadoras. Cela sert à
arrêter un animal qui s’enfuit, cheval ou vache. La cravache plate à manche d’argent
c’est le rebenque et le couteau, facón . Ils ont mis leur tenue des grands jours en
notre honneur. Ce sont des hommes fiers et de merveilleux cavaliers.
Précédant la voiture, les gauchos s’engagèrent
dans une allée bordée d’arbres gigantesques. Après la poussière et la chaleur, cette
ombre fraîche fut la bienvenue. On roula sur près d’un kilomètre. Au bout de l’allée,
se dressait une grande demeure en bois d’un étage, aux balcons ouvragés, dominant
de toute sa blancheur une vaste pelouse. En haut du perron, un groupe d’hommes
discutaient. Le maître de maison s’avança pour accueillir les arrivants.
— Vous êtes mademoiselle Delmas ?…
Bienvenue àl’ estancia Ortiz. Vous êtes encore plus ravissante
que ne me l’avait annoncé mon fils. J’ai une surprise pour vous, un de vos amis
qui se trouve être également des miens m’a fait la surprise de sa visite.
— Un ami ?…
— Oui : monsieur Vanderveen.
Léa eut du mal à dissimuler sa contrariété.
— Bonjour, Léa… Le monde est décidément
bien petit. Quand j’ai su que vous veniez, j’ai accepté avec joie l’invitation
de mon camarade Ortiz. J’ai bien fait, n’est-ce pas ?
— Bien sûr, dit Léa, tout en pensant :
« Qu’il aille au diable ! »
— Je vois que votre séjour en Argentine
se passe le mieux du monde. Vous voici maintenant tout à fait introduite :
les familles Ocampo, Ortiz, ce qu’on fait de mieux.
— Vous êtes très bien introduit, vous
aussi.
— Les affaires, ma chère, les affaires.
Comment vont vos charmants amis les Tavernier ?
— Bien, je crois.
— Ne me dites pas que vous êtes sans
nouvelles d’eux, vous avez l’air tellement intimes.
Guillermina la tira d’embarras.
— Venez,
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