Oeuvres de Napoléon Bonaparte, TOME III.
avez battus à Hollabrunn, et que depuis vous avez constamment poursuivis jusqu'ici.
Les positions que nous occupons sont formidables, et pendant qu'ils marcheront pour tourner ma droite, ils me présenteront le flanc.
Soldats, je dirigerai moi-même tous vos bataillons : je me tiendrai loin du feu, si avec votre bravoure accoutumée, vous portez le désordre et la confusion dans les rangs ennemis ; mais si la victoire était un moment incertaine, vous verriez votre empereur s'exposer aux premiers coups, car la victoire ne saurait hésiter, dans cette journée surtout, où il y va de l'honneur de l'infanterie française, qui importe tant à l'honneur de toute la nation.
Que, sous prétexte d'emmener les blessés, on ne désorganise pas les rangs, et que chacun soit bien pénétré de cette pensée, qu'il faut vaincre ces stipendiés de l'Angleterre, qui sont animés d'une si grande haine contre notre nation.
Cette victoire finira notre campagne, et nous pourrons reprendre nos quartiers d'hiver, où nous serons joints par les nouvelles armées qui se forment en France, et alors la paix que je ferai, sera digne de mon peuple, de vous et de moi.
NAPOLÉON.
Austerlitz, le 12 frimaire an 14 (2 décembre 1805)
Trentième bulletin de la grande armée.
Le 6 frimaire, l'empereur, eu recevant la communication des pleins-pouvoirs de MM. de Stadion et de Giulay, offrit préalablement un armistice, afin d'épargner le sang, si l'on avait effectivement envie de s'arranger et d'en venir à un accommodement définitif.
Mais il fut facile à l'empereur de s'apercevoir qu'on avait d'autres projets ; et comme l'espoir du succès ne pouvait venir à l'ennemi que du côté de l'armée russe, il conjectura aisément que les deuxième et troisième armées étaient arrivées, ou sur le point d'arriver à Olmutz, et que les négociations n'étaient plus qu'une ruse de guerre pour endormir sa vigilance.
Le 7, à neuf heures du matin, une nuée de cosaques, soutenue par la cavalerie russe, fit plier les avant-postes du prince Murat, cerna Vischau, et y prit cinquante hommes à pied du sixième régiment de dragons. Dans la journée, l'empereur de Russie se rendit à Vischau, et toute l'armée russe prit position derrière cette ville.
L'empereur avait envoyé son aide-de-camp, le général Savary, pour complimenter l'empereur de Russie dès qu'il avait su ce prince arrivé à l'armée. Le général Savary revint au moment où l'empereur faisait la reconnaissance des feux de bivouac ennemis placés à Vischau. Il se loua beaucoup du bon accueil, des grâces et des bons sentimens personnels de l'empereur de Russie, et même du grand-duc Constantin, qui eut pour lui toute espèce de soins et d'attentions ; mais il fut facile de comprendre, par la suite des conversations qu'il eut pendant trois jours avec une trentaine de freluquets qui, sous différens titres, environnent l'empereur de Russie, que la présomption, l'imprudence et l'inconsidération régneraient dans les décisions du cabinet militaire, comme elles avaient régné dans celles du cabinet politique.
Une armée ainsi conduite ne pouvait tarder à faire des fautes.
Le plan de l'empereur fut dès ce moment de les attendre et d'épier l'instant d'en profiter. Il donna sur-le-champ l'ordre de retraite à son armée, se retira de nuit, comme s'il eût essuyé une défaite, prit une bonne position à trois lieues en arrière, fit travailler avec beaucoup d'ostentation à la fortifier et à y établir des batteries.
Il fit proposer une entrevue de l'empereur de Russie, qui lui envoya son aide-de-camp le prince Dolgorouki : cet aide-de-camp put remarquer que tout respirait dans la contenance de l'armée française la réserve et la timidité. Le placement des grand'-gardes, les fortifications que l'on faisait en toute hâte, tout laissait voir à l'officier russe une armée à demi battue.
Contre l'usage de l'empereur, qui ne reçoit jamais avec tant de circonspection les parlementaires à son quartier-général, il se rendit lui-même a ses avant-postes. Après les premiers complimens, l'officier russe voulut entamer des questions politiques. Il tranchait sur tout avec une impertinence difficile à imaginer : il était dans l'ignorance la plus absolue des intérêts de l'Europe et de la situation du continent. C'était, en un mot, un jeune trompette de l'Angleterre. Il parlait à l'empereur comme il parle aux officiers russes, que depuis long-temps il indigne par sa hauteur et ses
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