Oeuvres de Napoléon Bonaparte, TOME III.
en Bohême ; il espérait entamer ce corps.
Le maréchal Ney avait eu la mission de s'emparer du Tyrol : il s'en est acquitté avec son intelligence et son intrépidité accoutumées. Il a fait tourner les forts de Scharnitz et de Neustark, et s'en est emparé de vive force. Il a pris dans cette affaire dix-huit cents hommes, un drapeau et seize pièces de canon de campagne attelées.
Le 16, à cinq heures après-midi, il a fait son entrée à Inspruck ; il y a trouvé un arsenal rempli d'une artillerie considérable, seize mille fusils et une immense quantité de poudre. Le même jour, il est entré à Hall, où il a aussi pris de très-grands et très-riches magasins, dont on n'a pas encore l'inventaire. L'archiduc Jean, qui commandait en Tyrol, s'est échappé par Luchsthall. Il a chargé un colonel de remettre tous les magasins aux Français, et de recommander à leur générosité douze cents malades qui sont à Inspruck.
A tous ces trophées de gloire, est venue se joindre une scène qui a touché l'âme de tous les soldats. Pendant la guerre dernière, le soixante-seizième régiment de ligne avait perdu deux drapeaux dans les Grisons ; cette perte était depuis long-temps pour ce corps le motif d'une affliction profonde. Ces braves savaient que l'Europe n'avait point oublié leur malheur, quoiqu'on ne pût en accuser leur courage. Ces drapeaux, sujets d'un si noble regret, se sont trouvés dans l'arsenal d'Inspruck, un officier les a reconnus ; tous les soldats sont accourus aussitôt. Lorsque le maréchal Ney les leur a fait rendre avec pompe, des larmes coulaient des yeux de tous les vieux soldats. Les jeunes conscrits étaient fiers d'avoir servi à reprendre ces enseignes enlevées à leurs aînés par les vicissitudes de la guerre. L'empereur a ordonné que cette scène touchante soit consacrée par un tableau.
Le soldat français a pour ses drapeaux un sentiment qui tient de la tendresse. Ils sont l'objet de son culte, comme un présent reçu des mains d'une maîtresse.
Le général Klein a fait une incursion en Bohême avec sa division de dragons. Il a vu partout les Russes en horreur : les dévastations qu'ils commettent font frémir. L'irruption de ces barbares appelés par le gouvernement lui-même, a presque éteint dans le coeur des sujets de l'Autriche toute affection pour leur prince. «Nous et les Français, disent les Allemands, nous sommes les fils des Romains ; les Russes sont les enfans des Tartares. Nous aimons mieux mille fois voir les Français armés contre nous, que des alliés tels que les Russes». A Vienne, le seul nom d'un Russe inspirait la terreur. Ces hordes de sauvages ne se contentent pas de piller pour leur subsistance ; ils enlèvent, ils détruisent tout. Un malheureux paysan qui ne possède dans sa chaumière que ses vêtemens, en est dépouillé par eux. Un homme riche qui occupe un palais, ne peut espérer de les assouvir par ses richesses : ils le dépouillent et le laissent nu sous ses lambris dévastés.
Sans doute, c'est pour la dernière fois que les gouvernemens européens appelleront de si funestes secours. S'ils étaient capables de le vouloir encore, ils auraient à payer ces alliés du soulèvement de leur propre nation. D'ici à cent ans, il ne sera en Autriche au pouvoir d'aucun prince d'introduire des Russes dans ses états. Ce n'est pas qu'il n'y ait dans ces armées un grand nombre d'officiers dont l'éducation a été soignée, dont les moeurs sont douces et l'esprit éclairé Ce qu'on dit d'une armée s'entend toujours de l'instinct naturel de la masse qui la compose.
Znaïm, le 27 brumaire an 14 (18 novembre 1805).
Vingt-sixième bulletin de la grande armée.
Le prince Murat, instruit que les généraux russes, immédiatement après la signature de la convention, s'étaient mis en marche avec une portion de leur armée sur Znaïm, et que tout indiquait que l'autre partie allait la suivre et nous échapper, leur a fait connaître que l'empereur n'avait pas ratifié la convention, et qu'en conséquence il allait attaquer. En effet, le prince Murat a fait ses dispositions, a marché à l'ennemi, et l'a attaqué le 25, à quatre heures après midi, ce qui a donné lieu au combat de Juntersdorff, dans lequel la partie de l'armée russe qui formait l'arrière-garde a été mise en déroute, a perdu douze pièces de canon, cent voitures de bagages, deux mille prisonniers et deux mille hommes restés sur le champ de bataille. Le maréchal Lannes a
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