Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome V.
fut destiné à se porter en arrière de notre droite, pour s'opposer à un corps prussien qui paraissait avoir échappé au maréchal Grouchy, et être dans l'intention de tomber sur notre flanc droit, intention qui nous avait été connue par nos rapports, et par une lettre d'un général prussien, que portait une ordonnance prise par nos coureurs.
Les troupes étaient pleines d'ardeur. On estimait les forces de l'armée anglaise à quatre-vingt mille hommes ; on supposait qu'un corps prussien qui pouvait être en mesure vers le soir, pouvait être de quinze mille hommes. Les forces ennemies étaient donc de plus de quatre-vingt-dix mille hommes, les nôtres moins nombreuses.
A midi, tous les préparatifs étant terminés, le prince Jérôme, commandant une division du deuxième corps, et destiné à en former l'extrême gauche, se porta sur le bois dont l'ennemi occupait une partie.
La canonnade s'engagea ; l'ennemi soutint par trente pièces de canon les troupes qu'il avait envoyées pour garder le bois. Nous fîmes aussi de notre côté des dispositions d'artillerie. A une heure, le prince Jérôme fut maître de tout le bois, et toute l'armée anglaise se replia derrière un rideau. Le comte d'Erlon attaqua alors le village de Mont-Saint-Jean, et fit appuyer son attaque par quatre-vingts pièces de canon. Il s'engagea là une épouvantable canonnade, qui dut beaucoup faire souffrir l'armée anglaise. Tous les coups portaient sur le plateau. Une brigade de la première division du comte d'Erlon s'empara du village de Mont-Saint-Jean ; une seconde brigade fut chargée par un corps de cavalerie anglaise, qui lui fit éprouver beaucoup de perte. Au même moment, une division de cavalerie anglaise chargea la batterie du comte d'Erlon par sa droite, et désorganisa plusieurs pièces ; mais les cuirassiers du général Milbaud chargèrent cette division, dont trois régimens furent rompus et écharpés.
Il était trois heures après midi. L'empereur fit avancer la garde pour la placer dans la plaine, sur le terrain qu'avait occupé le premiers corps au commencement de l'action, ce corps se trouvant déjà en avant. La division prussienne, dont on avait prévu le mouvement, s'engagea alors avec les tirailleurs du comte Lobau, en prolongeant son feu sur tout notre flanc droit. 11 était convenable, avant de rien entreprendre ailleurs, d'attendre l'issue qu'aurait cette attaque. A cet effet, tous les moyens de la réserve étaient prêts à se porter au secours du comte Lobau, et à écraser le corps prussien lorsqu'il se serait avancé.
Cela fait, l'empereur avait le projet de mener une attaque par le village de Mont-Saint-Jean, dont on espérait un succès décisif ; mais par un mouvement d'impatience, si fréquent dans nos annales militaires, et qui nous a été souvent si funeste, la cavalerie de réserve s'étant aperçue d'un mouvement rétrograde que faisaient les Anglais pour se mettre à l'abri de nos batteries, dont ils avaient déjà tant souffert, couronna les hauteurs de Mont-Saint-Jean et chargea l'infanterie. Ce mouvement, qui, fait à temps, et soutenu par les réserves, devait décider de la journée, fait isolément et avant que les affaires de la droite ne fussent terminées, devint funeste.
N'y ayant aucun moyen de le contremander, l'ennemi montrant beaucoup de masses d'infanterie et de cavalerie, et les deux divisions de cuirassiers étant engagées, toute notre cavalerie courut au même moment pour soutenir ses camarades.
Là, pendant trois heures, se firent de nombreuses charges gui nous valurent l'enfoncement de plusieurs carrés et six drapeaux de l'infanterie anglaise, avantage hors de proportion avec les pertes qu'éprouvait notre cavalerie par la mitraille et les fusillades.
Il était impossible de disposer de nos réserves d'infanterie jusqu'à ce qu'on eût repoussé l'attaque de flanc du corps prussien. Cette attaque se prolongeait toujours et perpendiculairement sur notre flanc droit ; l'empereur y envoya le général Duhesme avec la jeune garde et plusieurs batteries de réserve. L'ennemi fut contenu, fut repoussé, et recula : il avait épuisé ses forces, et l'on n'en avait plus rien à craindre. C'est ce moment qui était celui indiqué pour une attaque sur le centre de l'ennemi. Comme les cuirassiers souffraient par la mitraille, on envoya quatre bataillons de la moyenne garde pour protéger les cuirassiers, soutenir la position, et, si cela était possible, dégager et
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