Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale

avait étudié, analysé et catalogué des
milliers de façons de mourir, ne laissa pas de lettre pour expliquer la sienne.
Son ami Bentley Purchase, le coroner , examina le corps de Spilsbury et
prononça un verdict de suicide : « Son esprit n’était plus ce qu’il
était. »
    Le joyeux coroner fut nommé Commandant de l’Ordre de
l’Empire Britannique (CBE) en 1949 et fut fait chevalier en 1958. Purchase prit
sa retraite l’année suivante, pour s’occuper de ses cochons et écouter Gilbert
et Sullivan. Il résista à l’envie d’écrire ses mémoires : « À chaque
fois que je raconte une histoire, on dirait qu’un squelette sort d’une
armoire. » Cela valait plus particulièrement pour son rôle dans
l’opération Mincemeat. Sir Bentley Purchase mourut en 1961, après être
tombé de son toit alors qu’il réparait l’antenne de télévision. Ayant exécuté
quelque 20 000 enquêtes, Sir Bentley laissa un petit mystère post
mortem : le coroner qui étudia son cas ne sut pas dire s’il
était mort d’une crise cardiaque qui lui fut fatale avant ou après être tombé
de son toit.
    Adolf Clauss, l’espion de Huelva, refusa aussi de parler de
son travail pendant la guerre, mais pour d’autres raisons. À la fin de la
guerre, les châtiments des Allemands soupçonnés d’espionnage furent appliqués
inéquitablement. Luis Clauss fut accusé d’espionnage parce que sa flotte de
pêche avait servi à suivre les mouvements des navires alliés, et il passa deux
terribles années en résidence surveillée, à son domicile, dans le petit village
de Caldes de Malavella, au Nord-Est de l’Espagne. Don Adolfo, bien que plus
haut gradé au sein de l’Abwehr, ne fut jamais inquiété. « Sa femme était
la fille d’un puissant général espagnol et il était donc protégé. » Clauss
retourna à sa collection de papillons et à sa construction de chaises qui
continuaient à se casser lorsqu’on s’asseyait dessus. Des années plus tard,
lorsque la vérité sur l’opération Mincemeat commença à sortir, tout
super-espion qu’il était, Clauss inventa une nouvelle version de la réalité.
Son fils persiste : « Il a toujours été soupçonneux car les papiers
étaient arrivés trop facilement entre ses mains. Il se rendit immédiatement
compte que c’était un piège et avertit ses supérieurs à Berlin et Madrid, mais
ils refusèrent de le croire. Il pensait que les gens de Berlin étaient des
incapables car ils ne se sont pas rendu compte qu’ils étaient dupes. »
Gustav Leissner, alias Lenz, le chef de l’Abwehr à Madrid, était plus honnête
dans la défaite. Il fut arrêté et interrogé par les Américains en 1946, puis il
fut autorisé à regagner l’Espagne. Dix ans plus tard, lorsqu’on lui montra la
preuve des agissements des services secrets britanniques, il « admit la
possibilité avec un interminable “ Schön ! Ach , s’il en est ainsi,
il faut que je les félicite… Je leur tire mon chapeau”. »
    Karl-Erich Kuhlenthal, le pilier de l’Abwehr en Espagne,
était bien trop occupé à essayer de sauver sa peau pour s’inquiéter des
apparences ou pour admettre ses propres erreurs.
    Alors que le pouvoir nazi s’effondrait, Juan Pujol, l’agent
Arabel de Kuhlenthal et l’agent Garbo de la Grande-Bretagne, continua à envoyer
des messages teintés de chauvinisme nazi à son maître-espion allemand. En
réponse à une lettre de Kuhlenthal déplorant « la mort héroïque de notre
bien-aimé Führer », Garbo écrivit avec son emphase habituelle :
« La nouvelle de la mort de notre cher chef a ébranlé notre foi profonde
en la destinée qui attend notre pauvre Europe, mais ses actes et l’histoire de
son sacrifice sauveront le monde… la noble lutte qu’il initia revivra pour nous
sauver du chaos et de la barbarie. »
    Kuhlenthal informa son meilleur espion qu’il avait
l’intention de passer dans la clandestinité. Leurs rôles s’étaient inversés.
« Si vous êtes en danger, dites-le moi, écrivit Pujol. N’hésitez pas à me
confier pleinement toutes vos difficultés. Je regrette de ne pas être à vos
côtés pour pouvoir vous aider vraiment. Notre combat n’en restera pas là. Nous
entrons dans une guerre civile mondiale qui aboutira à la désintégration de nos
ennemis. » Cela faisait partie d’une ruse élaborée pour découvrir si des
vestiges des services secrets allemands prévoyaient de rétablir une sorte de
réseau nazi