Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
souterrain après la guerre. Dans le sillage de la défaite
allemande, Kuhlenthal avait fui Madrid, après avoir systématiquement détruit
les dossiers de l’Abwehr, et s’était réfugié, sous une fausse identité, à
Ávila, à l’Ouest de la capitale. Le MI5 envoya Pujol sur ses traces pour
découvrir ce que préparait l’ancien prodige de l’Abwehr.
Pujol retrouva Kuhlenthal à Ávila et frappa à sa porte.
« Kuhlenthal était très ému lorsqu’il fit entrer Garbo dans son
salon. » Les deux hommes parlèrent pendant trois heures, tandis que Pujol
conservait son déguisement de fanatique nazi. « Kuhlenthal laissa
clairement entendre, non seulement qu’il croyait toujours en l’authenticité de
Garbo, mais qu’il le considérait comme un super héros. »
Kuhlenthal expliqua que Pujol avait reçu la Croix de fer en
signe de reconnaissance pour son travail pour le III e Reich, et
que Hitler avait « personnellement ordonné que la médaille lui soit
accordée. Malheureusement, le certificat qui appuyait ces dires n’était pas
arrivé jusqu’à Madrid avant la chute de l’Allemagne ». C’est l’intention
qui compte. Quant à lui, Kuhlenthal expliqua qu’il était désespéré de fuir
l’Espagne et qu’il n’envisageait pas de retourner en Allemagne, où il était
certain d’être arrêté. Pujol dit à Kuhlenthal de « rester patiemment dans
sa cachette jusqu’à ce que Garbo puisse élaborer un plan pour faciliter son
évasion ». Pujol prit un air grave quand il expliqua à son ancien maître
espion qu’« il devait suivre les instructions à la lettre s’il voulait
être sauvé… Kuhlenthal promit de le faire. » L’espion espagnol expliqua
qu’il prévoyait d’aller en Amérique du Sud, via le Portugal, et
s’engagea solennellement à travailler encore pour l’Allemagne, si l’Abwehr
était un jour restaurée. Quand Kuhlenthal lui demanda comment il comptait
quitter le pays, Pujol répondit, en toute sincérité, par un seul mot :
« Clandestinement ».
Le MI5 en conclut que Karl-Erich Kuhlenthal ne représentait
plus une menace pour le monde d’après-guerre. L’ex-chef de l’Abwehr attendait,
paranoïaque mais patient, un signe de son ancien protégé, mais aucun message
n’arriva. Comme Clauss, il donna un tout autre lustre à son passé. Il expliqua
qu’il était resté en Espagne parce que le pays était « un creuset de
nombreuses races dont émanait une atmosphère de tolérance et de compréhension
de la nature humaine ». En vérité, il était trop terrifié pour bouger,
attendant un message de l’espion qui l’avait doublé si spectaculairement. La
femme de Kuhlenthal, Ellen, était l’héritière de la société de textile Dienz,
en Allemagne. Avant 1939, Karl-Erich avait travaillé dans l’entreprise
familiale, dont les locaux furent bombardés à la fin de la guerre. En 1950, le
couple rentra discrètement en Allemagne, aménagea dans une maison à Coblence et
prit les rênes de la société de textile. Kuhlenthal se révéla bien meilleur à
l’achat et à la vente de vêtements qu’au négoce de secrets. La maison Dienz
prospéra. En 1971, l’ancien espion fut élu président de l’Association fédérale
allemande des détaillants de textile, qui représentait près de 95 % des
vendeurs de textile allemands, soit un pouvoir d’achat d’environ
390 milliards de Deutsche Mark. Il inaugura la première galerie marchande
de Coblence et donna de longs discours monotones au sujet de la réforme
fiscale, de la promotion commerciale et du parking en centre-ville. Personne ne
posa jamais de questions sur son passé. Difficile de trouver membre plus
solide, valeureux, digne de confiance et prévisible, de l’ establishment allemand. L’espion et magnat du textile mourut en 1975, se demandant encore si
son passé allait ressurgir. La remarque la plus intéressante que son éloge
funèbre trouva à faire était qu’« il essayait toujours de s’habiller
élégamment, véritable exemple pour ses collègues ».
La vie de Kuhlenthal illustrait parfaitement ce que Juan
Pujol, Alexis von Roenne et Glyndwr Michael avaient déjà démontré : deux
personnes au moins peuvent se partager une même vie.
L’agent Garbo fut mis hors circulation. Avec la prime de
15 000 livres qu’il reçut du MI5 et sa décoration du MBE, il partit
pour le Venezuela et s’évanouit dans la nature. Quand l’auteur de romans
d’espionnage, Rupert
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