Par ce signe tu vaincras
choisissant parmi les esclaves chrétiens les jeunes gens et les jeunes filles qui lui permettaient d’assouvir ses désirs.
Sarmiento m’avertissait ainsi de ce qu’allaient être les dangers que j’allais rencontrer. Il me faudrait résister non seulement aux coups, mais à la séduction, aux tentations, au vice. De nombreux jeunes chrétiens y succombaient, devenant des objets de plaisir, obtenant le privilège de vivre auprès de leurs amants. Ils échappaient ainsi à la chiourme et au bagne. Vêtus de vêtements de soie, portant des boucles et des bagues, partageant les festins de leurs maîtres, ayant perdu à la fin leur honneur et leur dignité, ils se convertissaient à la religion d’Allah.
Corrompus, dévoyés, perdus, ils devenaient les plus cruels des bourreaux. Ils ne supportaient pas de découvrir que des chrétiens préféraient le martyre au vice. Ces renégats tuaient pour oublier qu’il existait d’autres routes, d’autres choix que ceux, ignominieux, qu’ils avaient choisis.
Sarmiento s’est tout à coup interrompu. Il a paru hésiter, m’a dévisagé, puis, baissant la tête, me serrant l’épaule, comme je l’interrogeais, il a murmuré que Dragut était un damné, que la plupart des infidèles le méprisaient et le redoutaient. Eux étaient des hommes dont on devait rejeter la religion, qu’il fallait combattre afin de les chasser du tombeau du Christ et des terres chrétiennes, mais dont on pouvait espérer qu’un jour leurs yeux s’ouvriraient, qu’ils reconnaîtraient le mystère du Christ et la bonté de la Vierge Marie. Bien des Maures s’étaient convertis en Espagne, et même les Juifs avaient rejoint la sainte Église.
Mais Dragut, lui, ne méritait plus le nom d’homme. Le capitan Husseyin, pour sa part, le lui refusait, disant qu’il était l’allié des puissances du Mal. Un démon.
— Tu es si jeune, a ajouté Sarmiento. Défie-toi de lui. Il pourra faire de toi sa proie. Il jouera avec toi. Il agit ainsi avec les jeunes chrétiens.
Il les harcelait, menaçait de les torturer, paraissait un temps les oublier, puis les faisait à nouveau comparaître devant lui, les contraignait à assister à l’exécution d’un chrétien ou d’un musulman.
La mort du malheureux était toujours lente. On lui tranchait d’abord le nez et les oreilles. Entre chaque supplice Dragut se montrait disert, enjoué, caressant le visage, les cuisses des jeunes gens, puis c’était le moment du pal, l’atroce agonie.
Alors le monstre conduisait jusqu’à sa couche ces chrétiens pantelants d’effroi et il leur offrait de choisir entre le vice et le martyre. Il voulait qu’ils s’avilissent et se renient, et que, pour obtenir leur grâce, ils fussent les premiers à s’offrir, à devancer ses désirs.
Dragut jouissait de les mépriser et parfois les rejetait, les renvoyait au bagne ou à la chiourme, ou bien, après les avoir corrompus, les faisait libérer pour qu’ils témoignent parmi les chrétiens que personne ne résistait au vice, et que lui, Dragut, le renégat, avait sur tous pouvoir de vie, de mort et de perdition.
— Dragut peut aussi bien jeter son dévolu sur toi, a conclu Sarmiento. J’ai voulu que tu saches comment il agit. Car si le capitan Husseyin m’a ainsi parlé de lui, c’est pour nous mettre en garde.
Il s’est penché vers moi, m’entourant d’un bras les épaules, et m’a serré contre lui.
— Husseyin m’a aussi parlé de ces femmes. De l’une d’elles en particulier.
Dragut-le-Brûlé, Dragut-le-Damné était aussi le maître d’un harem de soixante femmes que même le sultan lui enviait. Il offrait jusqu’à cent ducats aux capitans de ses galères pour une jeune vierge chrétienne. À chaque retour de leurs attaques des villages d’Italie, de Provence ou d’Espagne, tous lui présentaient les femmes qu’ils avaient prises.
— Dragut ne choisit que les blondes, a précisé Sarmiento.
Mathilde de Mons avait été embarquée avec trois autres femmes sur l’une des galères de Dragut qui devait quitter Toulon pour Alger.
Husseyin avait raconté à Sarmiento que le capitan-pacha avait refusé de la libérer, quel que fut le montant de la rançon probable.
Un envoyé d’Enguerrand de Mons avait proposé mille, puis deux mille ducats. En vain. Dragut avait répondu qu’il se promettait d’épouser Mathilde, ajoutant qu’il accorderait un sauf-conduit à Enguerrand si celui-ci souhaitait assister à la
Weitere Kostenlose Bücher