Par ce signe tu vaincras
Mons.
— Félons à votre Dieu, renégats ! ai-je conclu.
Philippe de Polin m’avait écouté, bras croisés, son visage exprimant le mépris.
— Votre père m’avait averti, a-t-il lâché alors que, tout à coup, la fatigue me terrassait et que je me laissais retomber sur le tabouret, me cachant le visage dans mes paumes. Lorsque vous avez refusé votre liberté qu’il venait de racheter à Dragut, il n’a pas été surpris par votre attitude. Dois-je vous le dire ? Il m’a même paru fier de votre choix. Mais désespéré, aussi, par votre aveuglement.
Polin s’est approché de moi.
— Croyez-vous qu’il ne sache pas, que notre roi François lui-même ignore qui ils sont ? Des Turcs, des infidèles, les bourreaux des chrétiens, des renégats. Nous savons cela, nous qui descendons de Clovis, le premier roi baptisé à Reims, nous qui sommes fils de Saint Louis et de Jeanne. Croyez-vous que je me sois rendu à Alger et Constantinople avec votre père et votre frère pour faire acte de soumission et d’allégeance, demander à me convertir à la religion d’Allah ? Mais, Bertrand de Thorenc, vous m’échauffez les oreilles et vous mériteriez que je vous fasse pendre à l’antenne de mon mât ! Nous sommes ici parce que, catholiques, nous appartenons aussi au royaume de France, que nous devons fidélité à notre roi Très Chrétien et que nous avons reçu de Dieu le devoir de défendre, de protéger notre royaume et ses sujets, et de ne laisser quiconque, fut-il le pape, rogner notre territoire et les pouvoirs de notre suzerain. Prier le Christ et la Sainte Vierge Marie, être respectueux de notre mère l’Église, je le fais, je le suis, mais si le pape devient César, s’il s’allie comme n’importe quel prince italien avec l’empereur Charles Quint ou avec Philippe II, régent d’Espagne, au nom de son père l’empereur, alors je dois sauver mon royaume et mon roi, et, s’il le faut, choisir de m’allier aux barbares, le temps qu’il faudra à Charles Quint et à son fils pour comprendre que le royaume de France ne se laisse pas dépecer ni dicter sa loi !
« Croyez-vous au demeurant que nous soyons les seuls à agir ainsi ? Votre père et moi avons croisé dans les palais de Soliman le Magnifique, à Constantinople, les ambassadeurs de Charles Quint et de la sérénissime république de Venise. Ouvrez les yeux, homme si jeune que vous n’avez pas encore appris à regarder le monde tel qu’il est ! Et ne condamnez pas votre père ni votre roi par ignorance et prétention. Je suis aussi fervent catholique que vous, mais que le pape reste l’évêque de Rome et ne cherche pas à gouverner le royaume de France ! Que Charles Quint ne se déguise pas en capucin pour mieux défendre ses intérêts ! Et vous, restez à bord de cette galère où aucun infidèle ne viendra vous chercher. Le capitan-pacha Dragut s’y est engagé. Il a touché sa rançon. Il respectera sa parole, non parce que c’est un homme loyal, mais parce qu’il y a intérêt. Ce renégat peut même un jour faire pénitence et revenir dans la foi du Christ. Mais oui, ainsi sont les hommes, et notre souverain pontife l’accueillera volontiers pourvu qu’il se confesse, qu’en signe de repentance il dépose à ses pieds quelques milliers de ducats, qu’il conduise dans tel ou tel port de la papauté de belles et grosses galéasses tout armées. Ne mêlez pas, homme jeune, votre foi et les affaires des royaumes. Il faut savoir être fidèle à Jésus-Christ et à son roi. Tout le reste n’est qu’accommodements, habileté politique.
Je suis sorti de la cabine et j’ai marché lentement jusqu’à la passerelle.
Philippe de Polin a crié que je perdais la raison, que le diable m’avait aveuglé, que j’étais félon à mon roi, à mon père, alors que le premier devoir chrétien était de respecter et d’honorer les pouvoirs légitimes. Or ceux du roi et du père l’étaient depuis l’origine des temps.
Je me suis engagé sur la passerelle. J’ai regardé les navires amarrés ou à l’ancre dans la rade. Peut-être la galère sur laquelle avait été embarquée Mathilde de Mons avait-elle déjà quitté Toulon pour Alger ?
J’ai vu le janissaire se redresser et regarder d’un air étonné Philippe de Polin qui continuait de m’interpeller, la voix de plus en plus aiguë, rageuse.
J’ai sauté sur le quai. Le janissaire est venu vers moi en tenant sa pique à deux
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