Par ce signe tu vaincras
Mathilde de Mons. Et je tuerais Dragut.
Je me grisais de ces promesses sous lesquelles se dissimulaient mon égoïsme et mes renoncements, ma hâte de quitter Alger.
Puis le père Verdini est venu et nous sommes restés longtemps serrés l’un contre l’autre.
Il m’a paru vieilli avec sa barbe grise, son corps voûté, ses gestes lents, si démuni au milieu de ces esclaves chrétiens qui le pressaient de questions, le suppliaient de ne pas les oublier. Certains s’agenouillaient, lui baisaient les mains. Paierait-il pour eux ? Quand reviendrait-il ? Où était le père Juan Gil ?
Tout à coup, en me regardant, Verdini a dit :
— Je ne peux rien pour les sujets du roi de France. Le capitan-pacha Dragut ne veut pas accepter de rançon pour eux. Il tient à les garder ici, à Alger, peut-être même a-t-il l’intention de les emmener à Constantinople. J’espère, oui, j’espère l’y faire renoncer, mais il me faudra encore payer pour qu’il accepte…
Le père Verdini m’a pris aux épaules, m’a embrassé. J’ai vu ses larmes. Il a répété :
— Je ne peux rien, rien.
Le roi François I er était mort. Le nouveau souverain, Henri II, et sa mère, Catherine de Médicis, avaient rompu l’alliance avec la Sublime Porte et s’étaient au contraire rapprochés du roi d’Espagne. L’une des filles de la reine Catherine devait l’épouser. Le sultan, ulcéré par ce retournement, avait ordonné au capitan-pacha de garder en otages tous les gentilshommes français. Il éprouvait moins de ressentiment pour ses ennemis de toujours, les Espagnols, que pour ces Français tortueux qui ne savaient choisir, un jour prêts à bombarder une ville chrétienne avec la flotte turque, le lendemain, catholiques fervents, prêchant la croisade contre les infidèles…
J’ai tenu contre moi le père Verdini. Il me parla aussi de mon père, de mon frère et de ma sœur Isabelle qui – il s’était signé – avaient reçu au Castellaras de la Tour des huguenots comme, jadis, ils avaient accueilli des Turcs.
— Tu gravis pour eux le calvaire, mais Dieu te sauvera, m’a-t-il dit.
Sarmiento, lui, allait partir, sa rançon payée par le frère Juan Gil. Le roi d’Espagne avait lui-même versé les mille ducats que Dragut réclamait.
J’ai cru Sarmiento quand il a fait le serment de ne pas nous oublier.
Speranza !
Spriano et moi nous sommes assis épaule contre épaule à notre place dans le bagne.
Lentement, répétant les mots afin que j’en saisisse le sens, Spriano a commencé à réciter de longs passages de La Divine Comédie, s’arrêtant pour me confier qu’il imaginait que François I er devait être enfoui dans l’une des dix fosses du huitième cercle de l’Enfer. Là se trouvaient les schismatiques ; là, Dante et Virgile avaient rencontré Mahomet et son gendre Ali, le corps fendu en deux par un démon qui mutilait et éventrait tous ceux que Dieu avait condamnés à souffrir dans cette fosse. Et leur supplice n’avait de cesse. Les damnés passaient et repassaient devant le démon qui les éventrait.
— François I er comme Mahomet, avait répété Spriano.
Mais peut-être François I er avait-il été placé quant à lui au cœur du royaume de Lucifer, dans le dernier cercle, aux côtés de Judas, de Brutus et de Cassius, les plus grands félons de tous les temps, ceux qui avaient trahi le Christ et César.
J’écoutais. La voix de Spriano me calmait. La poésie de Dante m’exaltait.
J’acceptais, Seigneur, de vivre l’enfer sur cette terre pour connaître le Paradis, la Joie et la Paix éternelle. J’étais prêt au martyre pour être sauvé.
14.
Une nuit – mais c’étaient des mois, peut-être même plusieurs années après la visite du père Verdini et le départ de Sarmiento –, j’ai marché jusqu’au mur qui entourait les jardins et la demeure de Dragut, et je l’ai franchi.
Je savais que le capitan-pacha avait quitté Alger à la tête de ses galères. Son fauteuil pourpre, en face de la potence, sur l’aire du bagne, restait vide, entouré de janissaires. Les bourreaux torturaient chaque jour, mais sans l’invention, la débauche de cruauté ni la perversité qu’ils déployaient lorsque leur chef assistait au supplice. Là, en son absence, ils semblaient accomplir leur tâche au plus vite, égorgeant d’un seul coup de lame, alors qu’ils avaient l’habitude, pour satisfaire Dragut, de taillader lentement le cou, de laisser la gorge
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