Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Par ce signe tu vaincras

Par ce signe tu vaincras

Titel: Par ce signe tu vaincras Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
penchée vers le souverain.
    J’ai pensé à ce que j’avais vu au cours de cette bataille.
    Non point d’abord aux chevaliers, aux fantassins tombés en luttant les uns contre les autres, mais à ces milliers de corps dépecés, mutilés, éventrés qui gisaient dans leurs maisons saccagées, vieux hommes et jeunes femmes livrés à ces bêtes casquées.
    Et tant d’autres les rejoindraient quand la ville de Saint-Quentin serait conquise, pillée, dévastée, ses habitants abandonnés à la sauvagerie de la soldatesque.
    C’était la règle.
    Mais alors, où était le Bien, où était le Mal ? Nos lansquenets chrétiens, en quoi valaient-ils mieux que les janissaires musulmans ?
    J’ai eu l’impression, en me levant et en quittant la tente royale, de vaciller comme si j’avais bu jusqu’à la déraison.
    J’ai d’abord chevauché au pas parmi les blés. La campagne paraissait paisible, étouffée sous la brume de chaleur de ce 27 août 1557.
    La bataille s’était déroulée au loin, là où s’élevaient les fumées des incendies. Les villages autour de Saint-Quentin brûlaient et la ville, à en juger par les couleurs rousses et jaunes des fumées, ne devait plus être qu’un brasier.
    Au fur et à mesure que j’avançais, l’odeur de mort m’enveloppait.
    Mon cheval s’est cabré. Les cadavres étaient devant lui, entrelacés. La plupart étaient ceux des gentilshommes français que les détrousseurs avaient déjà dépouillés de leurs armes et de leurs armures, de leurs bagues et colliers, et même de leurs vêtements.
    J’ai sauté à terre et j’ai continué, tirant mon cheval par la bride.
    Je m’arrêtais à chaque corps.
    Je ne me disais pas : « Tu cherches ton père et ton frère. » Je croyais seulement être curieux de la mort, du rictus de ces hommes saisis en plein élan et qui n’étaient plus que des chairs déchirées, recroquevillées dans des postures souvent grotesques.
    Je suis allé vers le ruisseau dont j’entendais le chant.
    C’est sur la berge, au milieu de hautes herbes foulées, cassées, que j’ai reconnu mon père. J’ai alors su que c’était lui que je cherchais.
    Peut-être avait-il été achevé d’un coup de lame à la gorge alors qu’un homme de son rang eût dû être fait prisonnier afin d’être échangé contre rançon.
    Dragut le renégat m’avait épargné.
    Mais mon père s’était défendu avec rage et son adversaire, après l’avoir blessé – une balle lui avait arraché l’épaule gauche –, avait frappé avec fureur, pour tuer.
    À moins que les ordres n’eussent été donnés d’abattre le comte Louis de Thorenc, quelles que fussent les circonstances. Pas de pitié ni de considération pour les « adversaires résolus et dangereux », et mon père en était.
    Diego de Sarmiento était homme à penser ainsi et à avoir chargé de cette mission quelques-uns de ses fidèles.
    Je me suis agenouillé. J’ai prié. Honteux de mon émotion, j’ai sangloté. Et me souvenir de toutes les accusations que j’avais portées contre mon père et que j’estimais encore légitimes, n’a point tari mes larmes.
    Je l’ai pris dans mes bras, son sang maculant mes mains et ma poitrine. Je l’ai déposé en travers de ma selle et suis retourné vers la tente royale.
    Il n’y avait plus sous le dais que quelques ripailleurs dont Diego de Sarmiento et Enguerrand de Mons.
    Je suis entré sous la tente en portant le corps de mon père.
    Ils ont cessé de rire et de boire.
    Sarmiento s’est levé, m’a entouré les épaules.
    — Un père est un père, a-t-il dit.
    Peut-être, s’il m’avait défié, aurais-je pris mon épée et me serais-je jeté sur lui pour mourir ou le tuer.
    Peut-être l’a-t-il senti, puisqu’il a lancé des ordres pour que l’on donnât au comte Louis de Thorenc une sépulture digne de son rang et de son courage.
    — Même s’il a été dans l’erreur, c’est un chrétien, a-t-il ajouté.
    J’ai suivi les hommes qui avaient placé mon père dans un cercueil de bois encore vert.
    Et j’ai attendu que la terre l’ait enseveli pour m’éloigner.
    Seigneur, que Vous nous avez fait la vie rude ! Seigneur, comme Vous nous punissez d’avoir fauté !

31.
    Le souvenir de mon père m’a longtemps hanté.
    Chaque nuit, je l’ai porté, sanglant, jusqu’à sa sépulture. Je l’y couchais, mais aucune pelletée de terre ne pouvait l’ensevelir.
    Je le retrouvais assis près de moi dans cette chambre au

Weitere Kostenlose Bücher