Paris Ma Bonne Ville
quitte à moins d’un
collier.
— Un
collier ! dis-je.
— Et en
or. Catherine étant votre sœur, vous ne pouvez que vous ne lui donniez le pas
sur votre garce.
— Mais
mon père, un collier !
— Vous
avez mis le doigt dans l’engrenage, dit mon père en riant, le bras va passer.
Ainsi le veut le commerce des femmes. Ou alors, soyez austèrement chiche-face
comme votre frère Samson et ne donnez mie à personne, de sorte qu’on n’est pas
offensé, n’attendant rien de lui.
Je courus
acheter le collier à un honnête juif de Sarlat que mon père connaissait, et
ainsi fis la paix avec ma petite sœur Catherine, qui n’était plus tant petite
puisqu’elle m’avait contraint à capituler rien qu’en me béquetant la crête.
Cependant,
Catherine pacifiée, la guerre ailleurs se ralluma et je tombai de poêle en
braise.
— Moussu,
dit la Gavachette dont le teint chaud avait pâli et l’œil noir, noirci, dès
qu’elle eut vu briller le collier sur la blanche peau de Catherine, puisque
vous êtes tant étoffé que vous m’achetez une bague en or comme moi je m’achète
une oublie à l’oublieux de Sarlat, vous n’eussiez pas dû lésiner, et me mettre
si au-dessous de votre sœur, comme vous fîtes.
Mais à cela je
fus tant courroucé que je donnai de la voix comme chien en meute et dans mon
ire, j’eusse même souffleté l’impudente si elle n’avait été grosse de mon
fruit, à telle enseigne que je lui tournai le dos et les talons, et ne la revis
de trois jours tant me pesait sur le cœur ce qu’elle avait dit sur ma bague en
or et l’oublie de l’oublieux.
Pendant ces
trois fois douze heures où je privai la Gavachette, comme on dit dans le Saint
Livre, de « la lumière de ma face », il faut bien avouer que celle-ci
n’était point fort lumineuse, reflétant un pensement mêlé et tenant plus du
vinaigre que du sucre. J’avais ouï Coligny dire, et deux jours plus tard M. de
la Place affirmer, et la frérèche répéter encore, que rien ne se passait sur
terre, et pas même la chute d’un passereau, sans que Dieu l’eût voulu. Mais à
tâcher d’accorder ce principe à mon personnel prédicament, je ne laissai pas
d’apercevoir que je jetais un grand trouble en ma théologie : comment, en
effet, pouvais-je imaginer que Dieu, en son infinie bonté, ait pu me lancer en
une épreuve qui n’était même pas utile au moment où je la subissais. Me
fallait-il croire que ce fût par un décret exprès de sa volonté que le courrier
de mon père était parvenu à Montaigne quarante-huit heures après mon
département afin que, persévérant à me croire en danger de ma vie, j’allasse
demander au Roi une grâce dont je n’avais plus le moindre besoin et encontrer,
en revanche, en Paris, au milieu de mon parti, les inouïs périls que j’ai
contés ?
Ces périls
mêmes, ces assassinations, ces noyades, ces horreurs, telles et si grandes qu’à
peu que la plume ne me soit quand et quand tombée des mains en les décrivant,
dois-je penser que c’est le Seigneur qui les envoya aux huguenots pour les
éprouver, augmentant cependant les papistes de leurs biens, de leurs titres, de
leurs charges, de leurs offices, et par là même les fortifiant dans l’idée que
leur culte corrompu était le bon et leurs erreurs, vérités ?
Mais d’un
autre côtel, à supposer que la Saint-Barthélemy fût le fait, non de Dieu, mais
de son mortel ennemi, y ayant en ce massacre des félonies si répugnantes et des
cruautés si abjectes qu’elles portaient toutes la marque et le sceau du Prince
des Ténèbres, comment admettre que le Seigneur tout-puissant n’ait pas à la fin
appesanti sa main sur les suppôts de ce Prince, laissant bien au rebours périr
ses justes et triompher Satan, comme si Satan était plus puissant que lui en ce
monde qu’il a pourtant de ses propres mains façonné.
Je demande
mille pardons à mon lecteur (que je me veux tout à plein amical) s’il discerne
quelque son sacrilégieux en ces réflexions. Qu’il sache au moins que je les
articule en innocence et en simplesse et sans en vouloir remontrer aux clercs
qui parmi nous se sont donné la tâche d’expliquer ces mystères. Mais observant
que souvent les explications qu’ils nous en donnent ne font qu’obscurcir
davantage leur objet, je n’ai pas voulu que ces obscurités préjugent sur la
clarté que j’y voudrais, et ne me laissant pas par elles garrotter le jugement,
j’en ai voulu ici
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