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Paris Ma Bonne Ville

Paris Ma Bonne Ville

Titel: Paris Ma Bonne Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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de ma chambre et sur moi-même replié, souffrant mille morts, pleurant
et gémissant, ne descendant à la salle commune que pour manger du bout du bec
la chiche chère de Maître Sanche. M me de Joyeuse, à la fin,
s’enquérant de moi par son valet, je lui fis répondre que je devais le lit
garder. Le croirez-vous ? Cette haute dame, tant folle que moi-même,
quoique d’un objet différent, poussa l’audace jusqu’à me venir voir en mon
logis à la tombée du jour, il est vrai dans un carrosse de louage pour que ma
rue ne vît pas sur le sien les armes des Joyeuse et en outre fort masquée et voilée
et en attifure qu’elle jugeait bourgeoise (et qui, à mon opinion, l’était peu)
et en ma chambre, l’huis reverrouillé, elle resta trois grandes heures à me
consoler (pour ce que je lui dis tout, comme à l’accoutumée, sur mon Angelina)
et me confortant – par degrés, chaleur d’émeuvement et pente insensible,
m’amena à la conforter. Ce que je fis par gratitude, par bonne grâce et aussi
pour ce que ces trois jours n’avaient guère étiolé ma native vigueur, comme je
l’observais avec étonnement, me cuidant déjà à la mort.
    Tant est que le lendemain, je me
sentis assez gaillard pour tirer pour la première fois avec Giacomi, à vrai
dire peu de temps, mais assez pour me persuader que j’aurais à désapprendre
avec lui tout ce que j’avais appris avec Cabusse pour ce que sans bouger du
tout le corps, ni même, semble-t-il, le bras, et sa lame épousant étroitement
la mienne, il faisait si bien que ma pointe ne le touchait mie, alors que la
sienne, s’il l’eût voulu, m’eût fait des boutonnières en toutes les parties
vitales.
    Je revois encore mon Giacomi en
cette première leçon (Miroul sur une escabelle et n’en perdant pas miette) si
long et gracieux en ses précises et parfaites postures, tenant de l’araignée
par ses membres et de l’oiseau par sa vivacité, l’œil de jais fort saillant, la
face comme pétrie de courtoise civilité, tandis que, cérémonieux, il écartait
ma lourde lame et me piquait, retenant la piqûre dans l’instant même où il me
la baillait.
    — Pierre, dit-il enfin se
reculant de deux pas aussi légèrement que s’il eût dansé, tenez ferme ! Je
vais avoir l’honneur de vous désarmer !
    Et ce disant il me fit un ample et
noble salut de son arme. Je ne crus pas mes oreilles de sa quiète assurance, et
à peine en crus-je ma dextre vide, quand mon épée, à elle s’arrachant, alla
voler à l’autre bout de la chambre.
    — Ha ! mon frère !
criai-je, il y a là quelque magie !
    — De la magie ! cria
Giacomi, que ce mot parut prendre fort à contre-poil, non mon Pierre, de
l’art ! De l’art et du savoir ! Une conception aiguisée par l’étude,
et dans l’exécution, la maîtrise due à un incessant labour !
    Le lendemain, je reçus une lettre
de mon père, lequel me commandait, puisqu’on m’avait promu docteur médecin et
Samson étant maître depuis un an déjà, de dire adieu l’un et l’autre à notre
vie d’écolier en Montpellier et de revenir à Mespech où, combien que nous ne
fussions pas prodigues, il tuerait le veau gras pour ses bien-aimés fils, et
pour le maître Giacomi à qui il devait ma vie, et pour le gentil Miroul qu’il
aimait bien au-dessus de sa condition.
    Je me donnai encore huit jours
pour faire mes adieux à la bonne Thomassine, à Cossolat, à M me de
Joyeuse, laquelle pleura à cœur fendre et me serra sur son tétin à ne se
rassasier jamais. Elle me fit jurer de la joindre dès que je pourrais sans offenser
la frérèche, et en son émerveillable largesse, elle me garnit derechef en
pécunes afin, dit-elle, que de nous vêtir de neuf, mon frère et moi, et Giacomi
qui allait fort reprisé, et Miroul, et ainsi d’apparaître en tout honneur et
convenable équipage en la baronnie de mon père.

 
CHAPITRE III
     
     
    Dans le
royaume, depuis l'édit de Saint-Germain, régnait entre papistes et huguenots
une sorte de paix comme toutes celles qui avaient précédé, instable et
rechignée, les offenses aux nôtres restant de-ci de-là si fréquentes que nous
n’avions pas consenti à rendre au Roi les places fortes que l’édit nous faisait
obligation de lui restituer. Toutefois, il me parut que je pouvais, sans
hasarder trop, prendre par le chemin le plus long et facile, j’entends par Carcassonne,
Thoulouse et Montauban, au lieu que de non pas traverser les monts des

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