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Paris Ma Bonne Ville

Paris Ma Bonne Ville

Titel: Paris Ma Bonne Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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fort à contre-poil par ce propos, ce que tu dis là n’est que
songerie et superstition ! La fortune ne nous fait point de signe par où
se pourrait deviner le futur. J’aime mon état de grande amour, et je
l’exercerai, avec ou sans bonnet. Ce n’est point celui-là qui compte, mais la
tête qui est dessous et celle-ci, je l’ai de mon mieux façonnée afin de curer,
si Dieu le veut, les intempéries des hommes.
    — Seigneur médecin, dit
Giacomi ne me baillant un de ses saluts italiens, lesquels, bien que profonds,
étaient faits sans bassesse aucune, mais avec un certain air de crête et de
grand seigneur ; l’augure, si augure il y a, est bonne ou male, qui le
sait ? Che sara, sara [12]   ! Et je serai quant à moi au désespoir de vous avoir offensé surtout dans le
moment où je dois prendre mon congé.
    — Prendre ton congé,
Giacomi ? Et pour où te rendre ? dis-je, béant.
    — À vrai dire, je ne sais,
dit Giacomi, le visage riant comme si le nourrir et le loger de sa longue caresse
lui eussent peu importé.
    — Pourquoi me quitter en ce
cas ? dis-je avec quelque chaleur. Sans toi Giacomi, sans ton
émerveillable maîtrise à l’épée et sans tes avisés conseils dans les dents de
la mort, j’aurais à coup sûr succombé.
    — Sans vous, seigneur
médecin, dit Giacomi, son œil de jais saillant quelque peu de l’orbite et tous
ses traits remontant joyeusement vers les tempes, je serais, de présent, serré
en geôle. Mais, poursuivit-il avec un geste fort élégant de son long bras,
lequel geste achevé, au lieu que de poursuivre, il s’accoisa.
    — Mais, Giacomi ?
    — Seigneur médecin, je ne
voudrais point vous donner à penser que je n’aime point Miroul, lequel je tiens
à rebours pour le meilleur drôle de la création.
    — Mais, Giacomi ?
    — Mais il ne me convient pas
tout à plein de partager la couche d’un valet. Seigneur médecin, ne me cuidez
pas, je vous prie, arrogant. En Italie ne peut être maître en fait d’armes
qu’une personne de qualité, et ainsi suis-je tenu par tous en ma ville natale
et réputé noble homme, sinon homme noble.
    — Ha ! maestro ! dis-je, je ne savais point ce qu’il en était précisément de ta condition,
encore que j’aie ouï dire que les maîtres d’épée italiens à la Cour de France,
que ce soit celui du Roi ou celui du Duc d’Anjou, tranchent fort du
gentilhomme. Chez nous, comme bien tu sais, un maître en fait d’armes n’est
qu’un soldat, manuellement expert mais pauvre en savoir, fruste en son
entendement, rustique en ses manières. Je te prise, maestro, bien
au-dessus du meilleur d’entre eux et si la matière te touche à cœur, au lieu
que ce soit Miroul, je te prendrai, moi, volontiers comme compagnon de lit,
faute d’une chambre où te loger céans.
    — Ha ! Seigneur
médecin ! dit Giacomi, que je vous sais gré de votre aimable, courtoise et
infinie bénignité, mais plaise à vous de ne point considérer que je
m’outrecuide ici en vaine gloire et piaffe sotte. Ce n’est point tant moi-même
que je veux qu’on respecte que mon épée, laquelle est pour moi tout ensemble un
état, un art, une manière de vivre et une philosophie. (Ce disant, il posait sa
longue main, nerveuse et délicate, sur son fourreau.) Et si vous vouliez bien
condescendre plus outre, seigneur médecin, en vos bontés et me dire
« vous » au lieu que de me tutoyer, vous porteriez le comble à mon
contentement.
    — Maestro ! dis-je en riant, s’il n’est que cela pour vous garder, je vous vousoyerai des
matines à vêpres ! Une brassée, maestro ! Une forte
brassée !
    Et tirant vers lui, je l’accolai
et le poutounai sur les deux joues, non sans qu’il se baissât quelque peu pour
me faciliter la chose et me rendant mes osculations sans chicheté, ses longues
mains, au bout de ses bras immenses, me toquant les épaules et le dos.
    — Seigneur médecin, me dit-il
quand enfin nous nous déprîmes de ces embrassements (et j’observais que son
émeuvement lui avait mis les larmes au bord des cils, lesquels étant noirs,
longs et fournis, donnaient à son regard luisant je ne sais quel italien
velouté), vous êtes, je crois, de la religion ?
    — Je le suis.
    — Je suis, moi, catholique,
dit-il avec quelque sérieux sur sa face rieuse. Et encore que je sache de
combien d’infinis abus mon Église est corrompue, peux-je dire que je n’entends
point la quitter, étant en son giron comme le meilleur

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