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Paris Ma Bonne Ville

Paris Ma Bonne Ville

Titel: Paris Ma Bonne Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Remontant en selle, nous tirâmes vers lui et
là, à l’ombre d’un bosquet de châtaigniers, je vis un grand faquin vêtu de noir
monté sur un cheval de labour assez mal fagoté, lequel (je parle du faquin)
sourcillant assez, mais néanmoins civilement nous saluant, me dit, pour ce
qu’il avait jugé à ma mine et à mon déportement que j’étais le chef de notre
petite troupe, s’il était bien constant que je fusse le fils cadet du Baron de
Mespech et comment je le pouvais prouver. Je lui répondis que j’avais une
lettre de mon père pour son maître. Il la voulut voir. Je la lui tendis. Et la
prenant, il rompit le cachet sans tant languir et sans plus de façon, et
combien qu’elle ne lui fût pas adressée, la lut. Après quoi, son œil devint
moins froidureux et il nous requit fort poliment de quitter nos corselets et
morions et de nous mettre en pourpoint, M. de Montaigne n’aimant point qu’on
parût devant lui, en sa paisible retraite, armés en guerre comme nous étions.
    Il devait être
vers les six heures quand nous atteignîmes le château. Le secrétaire, dès le
débotté, nous mena dans la tour où M. de Montaigne avait la librairie qu’il
devait décrire dans ses fameux Essais, regrettant de n’y avoir point
cousu une galerie où il eût pu déambuler, au lieu que non pas tourner en rond
dans sa ronde tour, comme il faisait quand nous entrâmes. Il nous salua avec
une extrême civilité et, nous ayant fait asseoir, il lut la lettre que le
secrétaire lui tendit tout ouverte, hochant le chef ce faisant et la relisant
une fois qu’il eut fini, ce qui me laissa tout le loisir de l’envisager, ce que
je fis fort curieusement pour ce qu’il avait – déjà sans que rien de sa
plume fût encore sorti – une grande réputation d’esprit dans le royaume.
    Il avait alors
trente-neuf ans, et depuis un an déjà il s’était, selon son dit, retiré au sein
des doctes vierges, par quoi il voulait dire les muses, voulant
consacrer « les doux refuges ancestraux de Montaigne à sa liberté, à sa
tranquillité, et à sa retraite ». Il m’avait semblé à son accueil qu’il
tranchait quelque peu de l’homme de cour, ou plutôt qu’il le contrefaisait,
n’en ayant pas trop la mine ni l’allure, encore qu’il portât une large fraise à
godrons et autour du col le collier de l’ordre de Saint-Michel que le Roi lui
avait baillé l’année d’avant. Quant à moi, je trouvai du clerc et du robin en
sa personne, laquelle ne brillait pas par les grâces du corps, ayant la taille
courte et ramassée, une chauveté à ne pas avoir sur le chef un seul poil
vaillant et l’air d’un homme plus apte à la plume qu’à l’épée – encore
qu’il la portât à son côté, et aimât assez, à ce qu’on m’avait dit, parler
guerres et batailles, ce dont riait notre voisin Brantôme, tant est grand et
tenace chez les nobles d’épée le préjugé contre la noblesse de robe.
    À le
considérer plus avant au cours de notre entretien, je lui trouvai le front haut
et comme bombé, les pommettes hautes, le visage non pas gras mais plein, le nez
long, fort et aquilin, l’œil grand, noir, fendu et judaïque, le regard à’steure
gai et gaussant, à’steure prudent, méfiant et comme inquiet. Ses lèvres
charnues tombaient quelque peu aux deux bouts et la moustache, soulignant et
poursuivant cette chute, lui donnait un air chagrin, du moins tant que son
sourire ne se mettait pas en branle, lequel était délicieux, si bien qu’il me
sembla que sa physionomie balançait, à fléaux égaux, entre le jovial et le
mélancolique.
    Il était vêtu
avec beaucoup de soin d’un pourpoint de velours noir et de chausses de même
couleur avec des crevés blancs, l’épée au côté, comme j’ai dit, encore qu’il
fût chez lui. Et quant à sa barbe (où se voyait déjà du gris), il ne la portait
pas en son entièreté comme Rondelet ou Saporta, mais coupée aux ciseaux assez
près du visage, soit qu’il la trouvât ainsi plus séante à un homme de cour,
soit qu’il la souffrît plus qu’il ne l’aimât, la préférant à l’incommodité de
se raser. Sans qu’il eût le cuir de la face aussi tanné que mon père, le soleil
périgordin n’avait pas laissé que de lui colorer les joues et combien que sa
taille tirât plutôt vers le petit, il paraissait sain et gaillard.
    — Monsieur,
dit-il en repliant la lettre et en la glissant dans son pourpoint, je connais
Monsieur votre père pour ce

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