Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Paris Ma Bonne Ville

Paris Ma Bonne Ville

Titel: Paris Ma Bonne Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
que m’en disait mon défunt ami M. de La Boétie,
lequel le tenait pour fort homme de bien. Vous me conterez à plus de loisir et
commodité votre affaire. Pour l’heure, je vous prie de me suivre en mon grand
logis où je suis accoutumé à passer chaque jour les deux heures qui précèdent
mon dîner.
    — Ha !
Monsieur de Montaigne ! dis-je en me levant, vous avez là une fort belle
librairie, et qui passe de beaucoup celle de Mespech, si conséquente que
celle-ci soit déjà.
    — Mon
père, dit Montaigne, l’a commencée avant moi, et depuis que j’ai atteint l’âge
d’homme, je n’ai regardé ni à la peine ni à la dépense pour arrondir cet
héritage.
    Et en
prononçant le mot arrondir, de la main qu’il avait blanche et déliée, il montra
avec un souris les planches qui, soutenant les livres, suivaient la courbe du
mur, la pièce étant parfaitement ronde, hors la partie où elle s’ouvrait sur
l’escalier, lequel était rond lui aussi, encore qu’il fût enclos dans une
petite tour carrée accolée à la grande. On eût dit que cette librairie, en sa
rotondité, était comme le cocon où le ver s’enferme pour tisser autour de lui
sa tant belle et protectrice enveloppe.
    Mon hôte,
descendant les degrés, s’arrêta pour nous montrer sa chambre à coucher, et à
son côté, une petite pièce qui, par une ouverture pratiquée dans le mur,
communiquait avec la chapelle qui était en dessous, de sorte que les paroles ou
les chants de l’officiant lui pouvaient parvenir sans qu’il eût à saillir de
son lit.
    — Ha !
dis-je en souriant, nous avons la même disposition à Mespech ! Mon père et
Sauveterre l’avaient façonnée dans les débuts de leur installation, alors
qu’étant huguenots sans oser encore se déclarer – la persécution faisant rage
contre les nôtres – ils voulaient paraître ouïr la messe sans l’ouïr
vraiment.
    — Ho !
Mais je l’ois ! dit Montaigne, je l’ois ! Et en toute dévotion et
diligence ! Ma mère, reprit-il non sans quelque émeuvement, était Marrane
et décroyant la foi que ses ancêtres par force forcée croyaient, pour ce qu’ils
avaient été convertis en Espagne par la question et le bûcher, elle avait
embrassé, d’un fort sincère élan, la religion réformée. Mon frère aussi, et non
sans un zèle que M. de La Boétie blâma, ce dont je me ramentois fort bien, sur
son lit de mort. Mais pour moi, Monsieur, reprit-il, aimant au-dessus de toutes
choses la paix et la modération, je suis de la même religion que le Roi.
    Il dit cela
avec un sourire de si fine et secrète gausserie qu’il me donna à penser que si
la royale foi venait à changer, la sienne n’aurait point trop de mal à la
suivre.
    — C’est
dire, ajouta-t-il après un silence, que je suis catholique et avoue la messe.
    — Monsieur
de Montaigne, dit alors Samson, assumant en sa candeur plus d’audace que
Giacomi et moi n’en eussions osé montrer, vous avouez la messe mais peut-on
dire que vous y allez, ne bougeant point de votre lit ?
    — Mais
cependant je l’ois ! dit Montaigne avec un sourire des plus subtils. Et
ouïr la messe n’est-il pas le premier devoir du catholique ?
    Ayant dit, il
descendit les degrés de la tour et traversant devant nous une cour, laquelle
était vaste et bien pavée, il nous mena dans la grand-salle en son logis, que
je trouvais fort bien garnie en meubles, en tentures et en tapis. À peine
cependant avions-nous pris place qu’une chambrière vint lui demander en oc s’il
lui était loisible de voir Mademoiselle sa fille et la gouvernante d’icelle. Il
acquiesça et la garce sortie, nous dit :
    — Plaise
à vous, Messieurs, de me donner licence de couper notre entretien par cette
visite, laquelle est rite quotidien en mon domestique. J’ai perdu trois ou
quatre enfants en nourrice, non sans regret mais sans grande fâcherie, et
Léonor est ce qui me reste de cette progéniture, et elle est aimée à proportion
de ceux que j’ai perdus. Vous l’allez voir et je vous prie de lui pardonner son
excessive puérilité. Car encore qu’elle soit à l’âge où les lois excusent les
plus échauffées de se marier, elle est d’une complexion tardive, mince et molle,
et commence à peine à se déniaiser de l’enfance.
    Comme il
achevait, Léonor entra, suivie d’une vieillotte fort pincée, revêche et
rechignée, laquelle nous envisagea tout de gob comme si sa pupille ne pourrait
jeter l’œil sur nous sans

Weitere Kostenlose Bücher